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Les Archives des muses (2) : femme et poètesse

En ces temps de confinement où nous sommes invités à rester à la maison pour se protéger et protéger nos proches et nos amis, nous avons choisi de vous faire découvrir ou redécouvrir quelques auteurs et autrices d’inspiration chrétienne dont les Archives diocésaines d’Albi gardent trace. À travers les volets de ces « archives des muses » ce sont quelques moments d’évasion littéraire qui sont proposés, et de possibles lectures pour l’avenir.

Le second volet des « archives des muses » est consacré à une femme : la poétesse Eugénie de Guérin.

Eugénie de Guérin : un romantisme chrétien

Eugénie est née le 29 janvier 1805 au château du Cayla situé sur la commune d’Andillac dans le Tarn. « Ce fut une fille de province et la fille d’une province. Son enfance dans un coin de l’Albigeois lui laisse les souvenirs qui disposent de toute une vie : la terre du Languedoc, son large ciel qui se confond pour elle avec la pensée de Dieu. » Eugénie est proche de son petit frère Maurice. « Elle a ses petits talents et Maurice les siens. Lui se plaît à jouer au sermonnaire devant ses sœurs. Il y a dans les bois du Cayla, une grotte taillée en forme de chaire où il monte et qui est appelée pour cela la chaire de Chrysostome. Du Cayla, ce grand désert vide, elle tire une vision des premiers âges du monde et de la terre avant que ne paraisse l’homme. De la moisson voisine, une page de la Bible. » (Pierre Moreau)

« Parfois elle écoute la messe à Vieux, village triste et charmant, dominé par une belle église à clocher octogonal au-dessus duquel tournent les oiseaux. Vieux est le pays de saint Eugène, qu’Eugénie considère comme son patron et de sainte Carissime, jeune fille de haute vertu qui, pour fuir les persécutions, gagna en barque Vieux en naviguant sur la Vère. » Âgée de 14 ans lorsque sa mère Gertrude meurt, elle prend soin de ses frères et sœur Maurice, Erembert et Marie. Elle consacre sa vie à sa famille. Elle ne se marie jamais. Au Cayla elle occupe son temps à l’écriture et échange avec ses amis, en particulier avec Louise de Bayne avec laquelle elle entretient une correspondance nourrie et dont elle apprécie la gaieté dansante. « Le Cayla est un lieu isolé, un bout du monde : quelle beauté, quelle douceur dans les molles collines disposées pour un croquis de Cézanne en volumes alternés et superposés dont les teintes d’émeraude et d’or l’été, de camaïeu ocre et roux l’automne, envoutent un charme discret. » (Wanda Bannour)

 

Eugénie de Guérin
Le site du Cayla

Ma lyre

Aux flots revient le navire,
La colombe à ses amours ;
À toi je reviens, ma lyre,
À toi je reviens toujours ;

Dieu, de qui tu viens sans doute,
Te fît la voix de mon cœur ;
Et je lui chante, en ma route,
Comme l’oiseau voyageur ;

Je compose mon cantique,
Du simple chant des hameaux ;
Je recueille la musique,
Qu’en passant font les ruisseaux ;

J’écoute dans les églises,
Ce que l’orgue chante à Dieu ;
Quand les vierges sont assises,
À la table du saint lieu.

La chambre d’Eugénie au Cayla

« Comme son frère, elle vit avec les végétaux, elle périt avec les verdures, elle renaît avec la pimprenelle. Elle voit le cœur comme un arbre entouré de feuilles mortes ; et ses sentiments, à travers le marronnier qui se trouve devant sa fenêtre ; elle souffre avec les végétaux battus par les intempéries, et, de même que Maurice, elle assiste aux drames qu’ils jouent ou qu’ils vivent. » (Pierre Moreau)

Ses journées sont aussi rythmées par ses lectures et par de nombreuses occupations pieuses et prières. « Elle a des mouvements d’évasion. Autour d’elle, il se murmure qu’elle va entrer en religion. Peut-être, mais ce serait pour partir pour l’Afrique, avec les religieuses de la congrégation d’Émilie de Vialar. Elle donnerait sa vie, cette vie qu’elle aspire à répandre. » Très croyante, Eugénie est fortement imprégnée par le christianisme. Elle est si marquée par L’Imitation de Jésus-Christ que l’écrivain normand Jules Barbey d’Aurevilly dit du Journal d’Eugénie qu’il est « L’Imitation de Jésus-Christ passé par le cœur de la femme ». Son Journal justement, recueil de pensées intimes, elle le tient à partir de 1834. Elle le dédie à son frère poète Maurice mort très jeune à l’âge de 28 ans. Elle l’achève en 1841, mais inconsolable après la perte de son frère, Eugénie meurt neuf ans plus tard à l’âge de 43 ans. Le 31 mai 1848 elle décède le jour de l’Ascension, « jour choisi par elle pour aller vers le ciel qu’elle n’avait jamais cessé d’invoquer ».

Que mon désert est grand, que mon ciel est immense !
L’aigle, sans se lasser, n’en ferait pas le tour ;
Mille cités et plus tiendraient en ce contour ;
Et mon cœur n’y tient pas, et par delà s’élance.

Où va-t-il ? Où va-t-il ? Oh ! Nommez-moi le lieu !
Il s’en va sur la route à l’étoile tracée ;
Il s’en va dans l’espace où vole la pensée ;
Il s’en va près de l’ange, il s’en va près de Dieu !

« Sur son corps impondérable sous le baldaquin de coton blanc est posé un grand lis. Paupières retombées sur le secret d’une vie sans histoire, Eugénie accomplit son ascension vers les lieux peuplés d’anges sauvages, elle entre dans le flot de lumière. Et tandis que l’alouette fuse vers le ciel, d’humbles femmes vêtues de noir montent vers le château. Eugénie de Guérin du Cayla fait partie de ces êtres à qui rien n’arriva. Auteur d’un Journal considéré jusqu’à présent comme une œuvre d’édification chrétienne, elle fut une épistolière fougueuse et intarissable. Ce qu’elle fut avant tout, c’est une sœur. La muse des préraphaélites Eugénie de Guérin reste dans l’ombre, encore plus voilée que son frère Maurice, l’incomparable poète du Centaure, l’impressionniste du Cahier vert. Dans la réclusion de son castelet languedocien, à l’ombre des soutanes, Eugénie de Guérin apparaît comme une chasteté berninienne, cachant sous les plis de ses voiles les feux d’une passion inouïe. » (Wanda Bannour)

Pris de passion pour son œuvre, Émile Barthès se lance dans un important travail littéraire. Émile est né le 16 janvier 1883 à Castres au sein d’une famille d’artisans et de marchands. En 1900 il entre au Petit séminaire de Castres. Il poursuit sa formation à l’université de Poitiers. Licencié en lettres, il est ordonné prêtre pour le diocèse d’Albi le 27 septembre 1908. Il enseigne la théologie au Grand séminaire d’Albi de 1910 à 1914 avant d’être mobilisé comme brancardier divisionnaire. Le 16 août 1932, il est nommé évêque auxiliaire d’Albi. C’est deux ans plus tard qu’il soutient sa thèse de doctorat ès lettres sur Eugénie de Guérin. Il publie notamment le Journal d’Eugénie, une biographie d’Eugénie d’après des documents inédits, les lettres d’Eugénie à sa famille, les lettres d’Eugénie à son frère Maurice ou celles envoyées à son amie de toujours Louise de Bayne.

Monseigneur Émile Barthès

Ses motivations profondes Émile Barthès les précise dans l’avant-propos de son œuvre biographique sur Eugénie : « Je me souvins de l’enchantement éprouvé, vers l’âge de dix-huit ans, à la lecture du Journal et des Lettres d’Eugénie. Les descriptions, concises mais parfaites, des environs du Cayla qui remplissent les pages de ces deux livres avaient éveillé mon sentiment de la nature. Le poignant drame moral qui s’y joue entre l’âme de la sœur et celle du frère m’avait remué jusqu’à l’intime. Je me souvins des ravissantes et heureuses journées de vacances passées, en compagnie d’un de mes oncles, dans la petite cité de Cahuzac et dans cette vallée de la Vère si poétiquement décrite par Eugénie. Je me souvins aussi des nombreuses visites au Cayla et des prières faites au cimetière d’Andillac. Et la pensée se présenta à mon esprit, d’abord falote et imprécise comme une ombre, puis forte et impérieuse comme une obsession, que la tombe des Guérin était trop modeste, que leur monument restait inachevé, que leur mémoire méritait d’être plus connue. J’eus alors l’ambition folle de devenir, à la suite de Trebutien, de Barbey d’Aurevilly, de Gandar et de tant d’autres, un ouvrier de leur gloire. »

Sur la publication des échanges épistolaires avec Louise de Bayne l’abbé Jean Rivière – prêtre du diocèse d’Albi et professeur à la faculté de théologie catholique de Strasbourg – explique dans la Revue des Sciences religieuses que « M. l’abbé Barthès a pu obtenir de la famille la communication de nombreux et importants manuscrits. On voit quelle ample matière est offerte par l’auteur à l’admiration toujours fidèle des guériniens. De cette publication, où l’on respire partout le plus pur arome de l’esprit chrétien, on peut dire qu’elle apporte un véritable enrichissement au meilleur de notre capital spirituel. Avec son introduction, ses textes inédits et les notes qui les accompagnent, le volume de M. l’abbé Barthès a tout ce qu’il faut pour porter au loin et prolonger encore auprès de nombreuses générations le parfum de cette fleur délicate éclose sur le vieux sol albigeois. » Pour ses travaux sur Eugénie de Guérin l’Académie française décerne à Émile Barthès deux prix : le prix Marcelin Guérin en 1926 d’abord pour sa publication des lettres à Louise de Bayne et le prix Botta en 1930 enfin pour son œuvre biographique sur la poétesse du Cayla.

Les textes d’Eugénie de Guérin et de Mgr Émile Barthès sont à retrouver aux Archives diocésaines d’Albi.

À la semaine prochaine pour le troisième volet des « archives des muses ».

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