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Rencontre avec les Frères Guillaume Jauffret et Augustin André, o.s.b.

C’est d’abord Dieu qui donne et puis c’est nous, ensuite, qui répondons !

Les frères Guillaume Jauffret et Augustin André, o.s.b., vont faire profession solennelle dans l’ordre de Saint-Benoît à l’Abbaye Saint-Benoit d’En-Calcat, le 17 décembre prochain à 10h. Le Service des Vocations les a rencontrés.

SdV : Qui êtes-vous ?

  1. Augustin : Je m’appelle frère Augustin. Je suis au monastère depuis 5 ans. Je suis entré après des études scientifiques. Autant, disons, du point de vue du chemin de foi, du chemin intérieur, l’entrée a été, je peux presque dire, une conséquence logique, que ça allait de soi, alors que ça n’a pas été le cas du tout du point de vue des études et de mon parcours professionnel, si on peut dire. Là, pour le coup, ça a été vraiment une rupture très forte. Au lycée, j’ai choisi la voie « S » (scientifique) comme on disait à ce moment-là, parce que je ne savais pas du tout quoi faire de ma vie. J’aimais bien les maths et la physique donc je me suis laissé porter par l’opinion commune qui nous fait croire qu’il vaut mieux faire ça pour ne pas fermer de porte et pour se permettre de retarder son choix, mais en fait ce qui m’intéressait vraiment c’étaient les lettres, l’histoire, le latin, le grec, la musique aussi, des heures au piano… Au lycée où j’étais, c’était possible de faire tout ça à la fois avec la voie « S » donc, jusqu’au bac, tout s’est passé dans un équilibre parfait, si j’ose dire. Tout a commencé à se gâter sévèrement après, où je ne savais toujours pas quoi faire de ma vie.
    Je pense que j’avais très peur d’oser me poser la question en fait, parce que je n’avais strictement aucune idée de la réponse et je sentais bien qu’il y avait quelque chose, on peut presque dire de vertigineux, et donc j’ai persisté dans la voie scientifique. J’ai persisté pas mal quand même : j’ai fait deux ans de prépa, trois ans d’école, un an de master, trois ans et demi de thèse après… Le malaise a été de plus en plus grand en fait parce que je sentais bien que ce n’était vraiment pas ma voie, que je n’étais pas fait pour ça, je l’ai senti très vite. J’essayais de me bercer de l’illusion que je finirai par aboutir à une petite vie professionnelle tranquille qui me permette de vivre à côté les choses qui comptaient vraiment pour moi, jusqu’à ce que ça devienne impossible. C’est devenu vraiment intenable d’être à ce point scindé en fait, je me sentais vraiment fracturé. J’ai compris qu’il fallait que je fasse complètement autre chose. Et le moment est venu où j’ai accepté ça, où je me suis dit : « Bon, maintenant je suis prêt à faire face à cette question de ce que je veux faire de ma vie ».
    Ça aurait pu être un désarroi encore plus grand, et en fait pas du tout. Ça m’a donné de la paix de sentir que, enfin, j’allais sortir du mensonge, que j’allais oser voir en face mes aspirations profondes. C’est en fait ce moment-là que le Seigneur a choisi pour venir me chercher. J’ai compris après que l’appel – puisque c’est comme ça qu’il faut le nommer – remontait loin, Dieu m’appelait depuis longtemps, mais disons que c’est à ce moment-là que je pouvais l’entendre. Je n’ai eu strictement aucun mal à tout laisser de ce qui faisait ma vie jusque-là pour rentrer ici.
  2. Guillaume : Frère Guillaume, au monastère depuis un peu plus de 5 ans. Je viens d’une famille catholique plus ou moins pratiquante. J’ai suivi le cursus normal, tout le parcours, les sacrements et autres… J’ai fait des études scientifiques également, des études assez poussées. J’ai commencé à travailler, puis j’ai eu une opportunité de reprendre mes études en Écosse, et donc j’y suis allé. J’ai refait des études là-bas, j’ai continué dans l’université à y travailler. Et en fait, c’est en Écosse où, pour la première fois, j’ai commencé à réfléchir à la vocation monastique. Je ne l’avais jamais imaginée avant.
    Et le déclic est venu en regardant le DVD : « Des hommes et des dieux», tout simplement. Ça m’a frappé comme étant une possibilité que je n’avais jamais envisagée jusqu’à présent. Il m’a fallu un peu de temps pour passer de la première impression à la réalité, donc j’ai pu discuter avec un moine bénédictin là-bas. C’est lui qui m’a parlé d’En-Calcat pour la première fois, je ne connaissais absolument pas cette abbaye, je n’avais d’ailleurs aucune idée de la vie monastique, autre que les a priori qu’on peut avoir, et les images. À la fin de mon contrat en Écosse, je suis revenu en France, et peu de temps après, j’ai pris mon premier contact avec l’abbaye ici, je suis venu, j’ai fait le stage, ça m’a plu et puis j’ai sauté le pas, en fait. Je me suis engagé, et je suis rentré en 2017.

 

SdV : Comment est née votre vocation ?

  1. Guillaume : La question de la vocation monastique, pour moi, était un peu un mystère, parce que comme je disais, je n’y avais jamais pensé. Peut-être, comme beaucoup de petits garçons catholiques dans une famille catholique, j’avais pensé éventuellement être prêtre, je jouais au prêtre quand j’étais petit, un peu, mais sans plus. Ça m’est venu brutalement, pas comme une évidence, mais comme une possibilité de me dire : « C’est une vie, ça, c’est une vie que je pourrais vivre presque. »
    Alors, j’ai lu la Règle de saint Benoît, ça m’a bien plu. C’est en parlant avec des gens que j’ai pu plus ou moins creuser, et surtout, au bout d’un moment, je pensais qu’il y avait un âge limite au départ. Donc, je m’inquiétais parce que je voyais que le temps passait et qu’il fallait que je prenne une décision, parce que si je devais faire le tour de toutes les communautés monastiques de France, j’en aurais pour une vie entière. Et en fait, je me suis rappelé que ce moine bénédictin m’avait parlé de l’abbaye d’En-Calcat, et je me suis dit : « Si tu dois commencer par quelque part, commence par là ». C’est pour ça que je suis venu à En-Calcat, pour essayer en tant qu’hôte. Le contact est bien passé, ça m’a plu, le contact avec le père Maître [des novices] aussi, je suis venu en stage, et après, ça m’a semblé presque naturel de continuer pour voir, en fait. C’était encore une question, même en ayant commencé. Je me suis demandé : « Est-ce que c’est ma vocation, est-ce que c’est mon appel ? » Et c’est au fil des années qu’on a des retours intérieurs ou des retours de la communauté qui disent : « Nous pensons que, oui, il n’y a rien qui nous fait dire que tu n’es pas à ta place. »
  2. Augustin : Bon, moi je ne viens pas d’une famille ni croyante ni pratiquante. De tradition catholique, oui, j’ai été baptisé enfant, mais pas beaucoup plus que ça. Un peu de catéchisme, mais très peu en fait. Mais je pense que je peux dire que dès l’enfance, en fait, j’avais une foi, je ne sais pas si je peux dire très forte, mais en tout cas très ancrée. Alors, il n’y avait pas grand-chose dedans, disons, elle était très très simple, forcément, vu que je n’ai quasiment pas eu d’enseignement. J’allais à la messe, en gros, trois-quatre fois par an, quand on était chez mes grands-parents, qui eux étaient des croyants pratiquants. Et ça, c’était pour moi des moments très forts, oui. C’était pour moi très important d’y aller avec eux à chaque fois, alors que j’avais le choix, personne ne m’imposait d’y aller.
    Ce que je peux dire aussi qui, je pense, a été important, c’est que j’ai un petit frère qui est mort bébé, quand moi j’avais trois ans, et je m’en souviens un peu. Je pense que ça a été très important pour moi, pour l’idée que je me faisais de Dieu, c’est-à-dire que, pour moi, Dieu c’était celui qui permettait que mon frère était au ciel, quelque part, et qu’il était vivant, si je puis dire, et que, un jour, on se retrouverait. Je pense que pour moi, Dieu, c’était celui qui rendait ça possible. Et je pense que ça a été important dans le fait que cette foi que j’avais, qui n’avait pas grand-chose, a pu toujours se maintenir pendant toute l’enfance, l’adolescence, même si elle a évolué après.
    En tout cas, j’étais complètement seul, parce que je n’en parlais à personne, et personne ne me demandait rien. Donc, jusqu’à ce que je quitte la maison des parents, jusqu’à 18-20 ans, je suis resté comme ça, tout seul, et en me disant : « Le jour où ça sera possible, sous-entendu le jour où je quitterai la famille, je pourrai aller à la messe, je pourrai approfondir la foi… »
    À l’âge où, en fait, beaucoup de jeunes chrétiens, je pense, prennent un peu le large de l’Église qu’ils ont côtoyée pendant leur enfance, moi, c’est exactement l’inverse. Pendant l’enfance, je n’ai pas eu grand-chose, mais j’avais vraiment une soif très forte. Et puis, c’est à l’âge adulte que je me suis dit : « Bon, maintenant je peux y aller ! » Et à ce moment-là, les choses sont allées très vite, c’est-à-dire que j’ai rencontré des personnes qui ont su me faire avancer, me faire lire la Bible, puis la musique aussi – j’ai appris l’orgue et accompagnais la messe… En fait, je pense assez souvent, à propos de ça, à l’image du vent de l’Esprit Saint qui frapperait contre la porte qui était fermée jusque-là. Le vent passe par en-dessous, par la serrure, et je sens qu’il y a quelque chose, jusqu’au jour où j’ai enfin ouvert un peu, et là, le vent de l’Esprit est venu à fond !
    Et tout est allé très vite, et j’ai senti que ma vie était complètement changée. Je me souviens très bien du lieu, du jour, de l’heure même où j’ai eu l’intuition – je ne sais pas comment je peux dire différemment – que je ne pouvais pas faire autrement que de tout donner. Tout prenait sens, c’était limpide, et ça me donnait une joie que je n’avais jamais connue jusque-là. Et toutes mes inquiétudes sur mon hypothétique avenir professionnel, sur tout ça, tout est parti, parce que j’avais enfin vu où était le sens que je voulais donner à ma vie.
    Ça a été un moment très fort de cœur à cœur, comme on dit – mais je trouve on dit un peu trop facilement l’expression de « cœur à cœur » ; après une expérience comme ça, je me dis qu’il ne faut pas abuser des mots, parce que c’est quelque chose de tellement fort, qui nous prend tout entier, que ce n’est pas très souvent, et ce n’est pas sur commande. C’est en tout cas une expérience pour moi qui a été vraiment fondatrice.

 

SdV : Quelle parole de la Bible vous touche particulièrement ?

  1. Guillaume : En fait, il y a plusieurs paroles de la Bible qui me touchent. Ça peut dépendre de comment on se sent intérieurement. Si je devais en retenir une, ce serait la lettre à l’Église de Laodicée dans le livre de l’Apocalypse (Ap 3, 14-22). C’est un passage qui m’avait beaucoup plu, en fait, dans mon enfance, quand je m’amusais à lire la Bible au départ davantage comme une livre d’histoire que comme un livre théologique, comme la parole de Dieu. J’y revenais souvent. Même quand je me suis un peu éloigné d’une certaine pratique religieuse, je pense avoir quand même gardé la foi, et de temps en temps, je relisais ce passage, et j’ai eu des petits « clins-Dieu » comme on dit, durant ma vie. Ça me parlait, je ne sais pas pourquoi.
    Alors, maintenant, – c’est une relecture bien sûr – mais je me suis dit : « Dans cette lettre, il me semble que l’un des messages, c’est de s’engager, c’est-à-dire, tu n’es ni chaud, ni froid, tu es tiède, ça ne va pas ! ». Depuis que je suis ici, par exemple, j’ai l’impression que cette parole, pour moi, a rempli son rôle, puisque, au bout d’un moment, je me suis dit : « Je ne peux pas rester comme ça, il faut que je fasse le choix », et j’ai fait le choix d’essayer, de voir et de rentrer.
    C’est vraiment un passage qui avait beaucoup marqué ma vie. Maintenant, avec l’approfondissement de la lectio et autres, c’est vrai que j’ai découvert d’autres paroles bibliques qui ont pris une importance plus grande maintenant, mais ce passage aura quand même beaucoup compté dans mon parcours de foi, je pense.
  2. Augustin : Des passages bibliques qui me touchent, il y en a beaucoup, mais ce qui me vient spontanément, un texte en tout cas qui me touche beaucoup effectivement, c’est dans l’évangile de saint Marc au chapitre 5, la guérison du possédé de Gérasa, qui rencontre Jésus ; Jésus le guérit en chassant l’esprit dans un troupeau de porcs et les porcs vont se jeter dans la mer (Mc 5, 1-20). Je trouve que c’est un récit particulièrement fort à plusieurs titres.
    Déjà, la première chose qui me touche beaucoup, c’est la situation de cet homme que saint Marc décrit d’une manière très concrète : comment il est prisonnier de son univers de mort, qu’il erre parmi les tombes… En quelques mots, c’est le tableau d’une détresse insondable, qui n’attend plus rien des autres et que les autres ont renoncé à essayer d’atteindre, saint Marc le dit. Cet homme, Jésus va le rejoindre dans un dialogue avec le démon dont il est possédé : cette deuxième chose qui me touche, effectivement, est que Jésus est le seul à pouvoir nous rejoindre dans nos prisons intérieures, où on pense que personne ne peut venir, et on ne pense même pas à demander de l’aide. Là, Jésus peut venir et faire des miracles, et la réaction de cet homme guéri et plein de reconnaissance, qui veut suivre Jésus, manifeste la joie qui le prend que la vie est là. Une autre chose encore que je trouve très forte dans ce texte, c’est le fait que les gens du coin arrivent là, et on leur dit : « Le troupeau de porcs qui était là s’est jeté dans la mer ». Ça fait un peu désordre, et ils demandent à Jésus de partir.
    Ça m’interpelle beaucoup parce qu’ils sont devant l’homme qui a guéri leur ami et ils lui demandent de partir. Alors, nous, bien sûr, on lit ça à la lumière de Pâques, et on se dit : « Ils sont devant Dieu fait homme, devant l’Amour fait homme qui vient vers eux, et ils lui demandent de partir… » Je trouve que c’est fort parce que ça nous montre quelque part que l’amour dont Dieu nous aime et l’amour qu’il est venu nous révéler dans la personne de Jésus, ce n’est pas un amour qui va de soi. Ce n’est pas une inclination comme celle qui nous porte vers nos amis ou ceux qu’on aime. C’est autre chose que ça, c’est beaucoup plus fort que ça, c’est beaucoup plus grand. Et si on se trouve un peu, par accident, en contact avec cet Amour avec un « A » majuscule, ça peut être trop, ça peut être intenable, brûlant, et on préfère partir et s’en retourner à sa petite vie d’avant sans trop se poser de questions, alors qu’on est invités à toute autre chose.
    On est invités à se laisser saisir par cet amour et à se laisser bouleverser. Comme je le disais, c’est un amour qui change tout, en fait, qui change toute la perspective. Si on se laisse un petit peu toucher par ça, tout devient autre et on ne peut pas être le même qu’avant. Alors, bien sûr on n’entre pas systématiquement dans un monastère, mais il me semble que forcément, la vie est changée d’une manière ou d’une autre. Alors, ça peut être, je pense, très discret, et ça peut même être invisible, mais en tout cas à l’intérieur on est forcément illuminés, sinon ce n’est pas sérieux.

 

SdV : Quelles sont les difficultés et les joies de la vie communautaire et monastique ?

  1. Guillaume : J’ai envie de commencer par la fameuse expression très connue : « L’enfer, c’est les autres». Ce n’est pas vraiment les autres en tant que tels, je le perçois plus comme le fait que le problème que nous posent les autres, c’est ce qu’ils renvoient de nous, en fait. Un ancien m’avait dit une fois que les autres sont le miroir de soi-même, c’est à dire que la vie communautaire, le fait qu’on vit ensemble – pas les uns sur les autres, mais on a une vie où on est en permanence avec les frères – ça nous révèle beaucoup de choses sur nous-mêmes : les limites, les peurs, les faiblesses… Et c’est dans ce sens-là que j’interprète la phrase que j’ai citée : on en veut aux autres parce qu’ils nous renvoient une image de nous-mêmes qui n’est pas celle qu’on aimerait bien avoir. C’est dans ce sens-là, je dirais, que les autres sont un problème.
    Après, dans toute vie communautaire, que ce soit au travail, dans la famille, et tout, c’est sûr, on ne peut pas être ami avec tout le monde, mais les autres ont ce rôle, en un sens, de renvoyer sur soi-même. Depuis que je suis rentré, j’ai découvert des choses ou des petits traits de caractère qui m’échappaient totalement, avant. Une autre difficulté que j’ai eue, personnellement, c’est, comme je disais, que je n’avais jamais considéré la vie monastique avant, et donc, je n’en avais que des images un peu idéalisées. Et la différence entre l’idéal, l’image romantique ou l’idée qu’on se fait en regardant des films ou en lisant des livres et la réalité de tous les jours est assez importante. Et c’est pour ça que c’est bien d’avoir du temps, justement, pour découvrir ce que c’est que la vie monastique, parce que ça peut faire mal, l’atterrissage peut faire mal, en un sens. C’est une difficulté, mais qui est salutaire aussi, puisque, là encore, on est comme l’image de soi-même, on est dans l’idole, dans l’idolâtrie, ce n’est pas la réalité qu’on voit, c’est une projection de ses propres désirs.
    Pour les joies, je dirais que la plus grande joie que j’ai, en un sens, que j’éprouve, c’est de se rendre compte que je ne suis pas seul sur ce chemin. Déjà, un chrétien, forcément, est un croyant qui vit dans une communauté, donc je ne suis pas seul, je ne suis pas seul à vivre ce que je vis, je ne suis pas seul avec mes problèmes, il y a des frères qui sont là pour aider. Et puis, avant tout, quand même, il y a Dieu, donc je ne suis pas seul. Et ça, c’est très réconfortant, quand on a vraiment des moments difficiles, de se raccrocher à cette idée que, voilà, on n’est pas seul. On n’est pas seul, il faut juste s’ouvrir à l’autre, que ce soit à Dieu ou à un frère pour parler, par exemple.
  2. Augustin : Les joies et les difficultés, c’est sûr que c’est les deux à la fois. On entre avec une idée certaine de la vie monastique, fraternelle, on s’imagine que c’est un long fleuve tranquille. Et en fait, on s’aperçoit vite que ce n’est pas tellement comme ça que ça se passe, que la norme, c’est plutôt, comment dire, des petites étincelles de joie, de fraternité, de partage, de belles choses, tout simplement : des étincelles au milieu d’un fleuve qui n’a pas grand-chose de tranquille. Mais les étincelles sont là, et il y en a tous les jours pour celui qui sait les voir et aussi pour celui qui sait les faire, pour celui qui sait les provoquer.
    Il me semble que c’est une bonne chose quand même, au début, que de rentrer ici avec une idée un peu idéalisée, justement, de la vie fraternelle. Le tout, c’est de savoir perdre ses illusions et puis de savoir rebondir de manière adéquate. Mais d’avoir une idée déjà haute, c’est une chose importante, je pense. Ces étincelles de joie sont d’autant plus fortes et d’autant plus belles qu’elles viennent et qu’elles nous surprennent, on ne les a pas vues venir : « Oh tiens, ce frère qui se comporte comme ça, on n’aurait pas cru ! » Oui, des joies comme ça qu’on n’a pas vu venir et qui se présentent, et on les goûte… Ça me paraît important, enfin, en tout cas, pour moi, c’est une chose à laquelle je pense assez souvent : me laisser surprendre par les autres, me dire que les autres sont plus grands que la case où je peux être tenté de les mettre, même sans m’en rendre bien compte. Et il y a l’inverse aussi, me dire : « Allez, tiens, je vais aller un peu le surprendre, ce frère, qui pense que je suis comme ça, lui montrer que non, que c’est plus complexe, que c’est autrement et que la réalité est beaucoup plus riche, beaucoup plus grande que la petite idée qu’on peut en avoir ». Et c’est désolant, c’est vrai, de se dire : « Bon, dans une situation comme ça, un tel va réagir comme ça, il va dire ça avec telle intonation… » Et quand les choses se passent effectivement comme ça, eh bien, on n’est pas surpris. Mais voilà, je crois qu’il faut rester exposé au vent de l’Esprit, encore, et se laisser surprendre par les autres, comme ils sont, et avancer ensemble.

 

SdV : En quoi la Règle de saint Benoît est encore d’actualité, pour le monde d’aujourd’hui ?

  1. Guillaume : L’actualité du message de la règle de saint Benoît, ce sont quelques qualités que j’y trouve : l’équilibre, la souplesse, l’humilité. Dans la règle de saint Benoît, souvent, il y a un principe, mais on va laisser une ouverture. Pour notre société, on peut voir un intérêt peut-être dans le sens de la gouvernance : il y a la figure de l’Abbé, par exemple, qui est importante : il a de grands pouvoirs, mais il a aussi une très grande responsabilité – saint Benoît insiste beaucoup là-dessus.
    Ce qui m’avait aussi frappé, en termes d’humilité, c’est par exemple quand saint Benoît dit à la fin de sa règle : « Tout n’est pas dedans, vous pouvez trouver d’autres références ailleurs » ; ou quand il dit : « Moi, voilà ce que je vous propose pour les Psaumes, après si quelqu’un pense qu’il sait mieux faire, eh bien, qu’il fasse ! ». Voilà, ce sont des petites choses comme ça qui m’avaient semblé intéressantes, même pour notre vie actuelle, et pas seulement pour les moines, mais aussi, je pense, pour la vie communautaire en général.
  2. Augustin : Au sujet de la Règle, moi, ce qui me vient spontanément, c’est à propos du temps, d’une certaine manière de recevoir le temps, qui peut être actuelle – je ne sais pas si on peut dire ça – mais, en tout cas, qui me semble forte et qui peut être signifiante pour notre temps, justement. Alors, il peut s’agit du temps de la journée, d’avoir une journée qui soit bien réglée, mais saint Benoit n’impose pas des journées qui soient remplies comme ça. Il pose un cadre, et après, on est libre de l’habiter d’une manière infinie, de garder la liberté intérieure d’aller à l’Office, quand la cloche sonne, même si on était en train de faire quelque chose d’intéressant, et qu’on se dit qu’on n’a pas grand-chose à faire pour terminer. Le temps est venu d’aller prier avec les frères, il s’agit d’être libre de laisser.
    Voilà, donc, à l’échelle du jour et j’allais dire aussi à l’échelle de la vie. La conscience est forte, chez saint Benoit, que les choses vraies, les choses importantes prennent du temps. Et ça, c’est effectivement quelque chose que nos contemporains, et même nous, on a du mal à recevoir, à comprendre. On voudrait que tout aille vite, on pense que quand on a compris les choses intellectuellement, c’est bon, alors que non, il faut le temps du corps, j’ai envie de dire, le temps de la vie. La Règle me semble être une école merveilleuse pour ça.

 

SdV : Que diriez-vous à un jeune homme qui se pose la question de la vie monastique ?

  1. Guillaume : Je lui dirais de ne pas rester sur l’idée, d’aller dès que possible, d’essayer les choses. Comme dit, c’est la vie réelle, la vie concrète, tout se fait dans le temps, c’est très incarné. Il ne faut pas rester sur des images, parce qu’en plus, on peut avoir une idée un peu fausse de la vie monastique. Ne pas hésiter à se lancer, faire un essai, et voir. En un sens, ne pas avoir peur de se tromper, en sachant qu’on ne se trompe pas quand on essaie de répondre à l’appel de Dieu. Donc : tente le coup !
  2. Augustin : Ce qui me semble important, moi, c’est de se poser les bonnes questions et de ne pas avoir peur de vraiment se demander : « Qu’est-ce qui compte vraiment pour moi ? Qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? » Et faire quelque chose de sa vie, ça impose de faire des choix, et faire des choix, ça veut dire qu’on ferme des portes.
    Peut-être que la vie monastique, entrer au monastère, pour beaucoup de gens, c’est fermer toutes les portes. Je sais que des personnes très proches m’ont dit : « Ah ! mais est-ce que tu as bien conscience qu’il y a beaucoup d’expériences que tu ne vas pas vivre si jamais tu fais ça ? », et sans jamais penser que, au monastère, on peut vivre une expérience authentique qui est plus difficile à vivre ailleurs de manière aussi forte, de manière aussi disponible. On peut, mais, disons, ici, on a des moyens qu’on n’a pas dans le monde, comme on dit.
    Après, bien sûr que dans ce choix on ne connaît pas la vie conjugale, on ne connaît pas – je ne sais pas moi – des voyages ou des loisirs qu’on aimerait faire, et que, du coup, tout ça, oui, on le restreint, mais il y a autre chose qui s’ouvre, et c’est quand même pour ça qu’on entre. Il y a autre chose qui s’ouvre, et ça, ça peut remplir une vie complètement.

 

SdV : Que représente votre prochaine profession solennelle ?

  1. Augustin : Ma profession solennelle, c’est un événement très fort. Enfin, en même temps, ce n’est pas la date qui compte, puisque c’est la date de profession simple qui reste la date de profession, mais c’est très clairement la profession solennelle qui est le jour le plus le plus marquant. Ce qui me vient, c’est, d’un côté, une forme d’aboutissement, mon engagement, le don que je fais, la reconnaissance du don que je reçois, tout prend corps ce jour-là.
    Donc, une forme d’aboutissement, mais qui est surtout un début puisqu’il y aura tous les autres jours qui restent, où il faudra dire « oui ». Ce n’est pas un « oui » qui nous donne de l’élan pour toute la vie, enfin oui, si, c’est ça, mais tous les jours, il faut dire « oui ». Ce jour de la profession, c’est un peu la cristallisation du don, de l’engagement, qu’on fait, nous, mais aussi de la conscience du don immense qu’on reçoit et qui est le premier, d’ailleurs. C’est d’abord Dieu qui donne et puis c’est nous, ensuite, qui répondons !
  2. Guillaume : La profession solennelle, c’est vrai que, déjà, c’est comme une sorte de validation de ce qui s’était passé avant, de cette préparation, de cette période où on découvre la vraie vie monastique, ce que c’est réellement, la communauté, l’ancrage dans la communauté… Donc, en un sens, c’est une validation, si vous voulez, comme un tampon, mais en même temps, ce n’est que le début, c’est-à-dire qu’on arrive, ça y est : « Enfin, la profession solennelle ! », mais ça aboutit à un : « Enfin, je vais commencer ! ». Un frère me disait : c’est quand on a fait profession qu’on peut commencer à se convertir. Enfin, je vais pouvoir me lancer sur ce chemin !

 

Propos recueillis par l’abbé Gaël Raucoules.

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