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Rencontre avec Père Emmanuel Roques, o.s.b., nouvel abbé d’En-Calcat

Père Emmanuel Roques, o.s.b., a été élu par ses frères neuvième abbé d’En-Calcat. Il va recevoir la bénédiction abbatiale à l’Abbaye Saint-Benoît d’En-Calcat, le 14 septembre prochain*.

Le Service des Vocations l’a rencontré.

SdV : Qui êtes-vous ?

Père Emmanuel : Je suis frère Emmanuel, originaire de Bordeaux. J’ai toujours vécu dans la ville, et pour moi, rentrer à En-Calcat a été la découverte plutôt du monde de la campagne, de la nature. Avant d’arriver ici, j’étais étudiant en physique-chimie, à l’université de Bordeaux, avec une vie paroissiale riche et belle, qui m’a permis de connaître En-Calcat, et je rends grâce de cela.

SdV : Comment est née votre vocation ?

Père Emmanuel : Aussi loin que je me souvienne, quand j’étais petit, je voulais être prêtre. Mes parents n’aimaient pas beaucoup que j’en parle, par peur certainement de la réaction des gens et que je m’enferme dans un schéma. J’ai eu la chance très tôt d’être accompagné spirituellement par un prêtre de Bordeaux, et donc de cheminer avec cette question de l’appel du Seigneur. Puis, vers l’âge de 14 ans, j’ai découvert En-Calcat, et là, petit à petit, la question du sacerdoce, en fait, est devenue moins prégnante. S’est alors posée la question de la vie monastique, qui n’est pas tout à fait – et même pas du tout ! – la même chose. Vers l’âge de 17 ans, c’était devenu clair, qu’être prêtre diocésain, en tout cas comme je les voyais, c’était non, mais que la vie monastique, c’était oui. Un évènement particulier m’a fortement marqué : un frère venait de présider l’eucharistie et je le retrouvais quelques minutes après, au potager, en train de racler la terre. Pour moi, c’était un choc ! Je voulais être comme ce frère : pouvoir prier, pouvoir travailler, dans un même lieu, comme une unité de vie. Pour moi, cela apparaissait
comme un appel !

SdV : Quelle parole de la Bible vous touche plus particulièrement ?

Père Emmanuel : La question des paroles de la Bible qui « touchent » est une question un peu piège. Je crois qu’il y a quelques années, j’aurais répondu en disant : « il y a tel ou tel passage ». Aujourd’hui, franchement, je ne sais pas bien ! Notre travail de moines, c’est d’accueillir la Parole de Dieu dans sa totalité, comme étant Parole révélée qui me parle aujourd’hui parce qu’elle m’est donnée. Et donc, on a cette pratique de la Lectio Divina, de cette lecture priante de la Bible, qui chez nous, est quotidienne.
On est dans la Bible pendant une heure, une heure et demie, le matin, on ne choisit pas le passage de la Bible qui nous convient. On a une lecture soit cursive de la Bible, en continu, soit on prend les textes de la liturgie du jour, et on accueille cette parole étant comme la Parole de Dieu pour aujourd’hui. Cette pratique-là m’a fait changer face à la Bible. C’est-à-dire qu’autrefois, j’avais mes passages préférés qui étaient les lieux où j’entendais Dieu qui me parlait. Aujourd’hui, je l’entends parler partout, dans toute la Bible et tous les passages. Donc, je serais embêté pour dire quel passage me « marque » aujourd’hui.
Ce que je peux dire quand même, pour répondre à la question, c’est que, tout récemment – c’était au moment de l’élection abbatiale – j’étais, dans ma lectio divina, dans l’évangile selon saint Luc, au chapitre 19. C’est la rencontre de Jésus avec Zachée. C’est vrai que ce texte de l’évangile a été un peu comme une parole pour moi parce que j’étais bien, dans mon sycomore, à regarder les choses d’un peu haut. L’élection abbatiale, je la regardais d’un peu haut, en me disant : « tiens, qui va être élu ? », mais j’étais un peu tranquille. Et puis, voilà que Jésus passe, il lève les yeux et me dit : « Aujourd’hui, il me faut demeurer chez toi ! » (Lc 19, 5). Je suis un peu tombé du sycomore, et cet « aujourd’hui, il me faut demeurer » du Christ, a été pour moi comme un appel, et, de fait, résonne encore en moi, plus d’un mois après l’élection abbatiale, comme vraiment l’appel du Christ, dans ma vie.

SdV : Quelle sont les difficultés et les joies de la vie monastique et communautaire ?

Père Emmanuel : Difficultés et joies de la vie monastique, comme les difficultés et les joies de la vie de tout homme. Il y a quelque chose dans notre vie monastique qui est hyperréaliste, profondément réaliste. Nous avons, ici, une vie de famille. Alors, ce n’est pas exactement la famille, mais, en même temps, tout ce qui nous arrive, les joies et les peines des uns et des autres, nous les portons tous. Il peut y avoir des accidents de santé, ou au contraire, des bonnes nouvelles dans les familles des uns et des autres, ou des bonnes nouvelles pour les frères : on se réjouit ou on est dans la peine, comme toute famille. Les plus grandes joies sont certainement celles qui sont de l’ordre de la rencontre ou de la parole. Quand on arrive, avec un frère, à parler à un niveau qui n’est pas celui du « il fait beau aujourd’hui », mais quelque chose de beaucoup plus profond, vraiment au niveau du cœur. Là, ce sont des joies immenses, quand on arrive à parler en confiance, ou à entendre en confiance la parole d’un frère : je crois que c’est alors un passage de Dieu. Les plus grandes difficultés, justement, c’est quand la parole est impossible, ou le devient, parce qu’on s’est mis en colère, parce qu’il y a eu une histoire ou quelque chose comme ça. Moi, je le porte toujours comme une frustration et une difficulté. Joies et peines, c’est vraiment le tissu de notre vie. Si on ne vivait que dans la joie, parce que cette vie monastique est extraordinaire et merveilleuse et que Dieu est là, peut-être qu’on ne partagerait pas avec le reste de l’humanité cette part importante qui est, justement, la peine. On a quelque chose à dire au monde parce que nous partageons aussi la peine du monde. On n’est pas si séparés que ça, malgré ce qu’on croit !

SdV : Qui est le « Père Abbé » pour sa communauté, et quel est son rôle ?

Père Emmanuel : Son nom dit ce qu’il est : Père Abbé. On le dit deux fois même : il est père, et il est « abba » – « abba », ça veut dire : « papa ». Je ne suis pas le papa de mes frères, il ne faut pas exagérer, et puis, la majorité des frères est plus âgée que moi ! Mais il y a une forme de paternité, c’est-à-dire d’engendrement, qui est le rôle de l’abbé pour que le frère devienne vraiment lui-même. Je crois que le rôle du père, ce n’est pas exactement le rôle de la mère, et que ce nom est bien choisi, en fait. Le père, c’est celui qui tape sur l’épaule de son fils et qui lui dit : « vas-y, je serai toujours là ! ». Ce n’est pas tant le consolateur – ça c’est plutôt la mère – que celui qui dit : « allez, vas-y, fonce, je suis là ! ».
Et donc, si l’abbé peut être un peu celui qui dit : « allez, vas-y, ne t’inquiète pas, de toutes façons, viens me voir, reviens, je suis là, on peut en reparler, et ne t’inquiète pas ! », alors, c’est magnifique ! Donc, oui, il est comme un père. La Règle dit : « il tient au monastère la place du Christ ». C’est une phrase terrible, parce que c’est super dangereux ! Quelqu’un qui est identifié à la figure du Christ, ça peut devenir quelque chose qui prend beaucoup trop d’importance dans le champ, parce que le Christ est irremplaçable. Et en même temps, c’est quelque chose de très juste, parce que, par son incarnation, le Christ a choisi de nous faire vivre notre relation à lui par des médiations. Les médiations, ces images du Christ que nous donne l’Église, sont le moyen privilégié pour le Christ de nous parler et de nous atteindre.
Donc, à la fois danger de cette figure de l’abbé qui représente le Christ, et chance, parce que, justement, c’est du concret, et c’est dans le concret que l’on rejoint le Christ.
La fonction d’un Père Abbé, c’est à la fois de rappeler la loi, et c’est aussi de passer outre la loi. La Règle est très claire : le Père Abbé est soumis à la Règle, comme les autres frères. Il n’y a pas un pouvoir discrétionnaire qui fait que l’abbé fait ce qu’il veut. Il y a cette Règle de saint Benoît, qui nous conduit à l’évangile, qui n’est pas autre chose qu’une mise en pratique de l’évangile sur un mode bien particulier, et dont l’abbé doit être le garant. Il y a un esprit. Et c’est vrai que, quand les frères s’engagent, ils s’engagent selon la Règle de saint Benoît. Si l’abbé n’était pas là pour dire : « on va continuer sur ce chemin », ça serait une trahison, aussi, par rapport aux frères qui s’engagent pour vivre selon la Règle de saint Benoît. Mais « le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 27).
Et donc, aussi belle soit-elle, la Règle n’est pas un absolu. Et l’abbé est là aussi pour rappeler que ce qui prime, ce sont les frères, et que, de temps en temps, la Règle, on la met de côté, pour tel ou tel, parce qu’il est en train de vivre quelque chose qui nécessite que, pour lui, ce soit un peu différent. Donc, l’utilité de l’abbé, c’est ça, à la fois dire la loi, et à la fois dire que la loi n’est pas le tout. C’est un exercice plutôt délicat, mais, je crois, nécessaire et beau. Je le prends comme un très beau challenge !

SdV : En quoi la Règle de saint Benoît est encore d’actualité ?

Père Emmanuel : La Règle de saint Benoît, c’est le VIe siècle, donc ça remonte ! Mais c’est vrai qu’elle a toujours été actuelle. C’est quand même un petit miracle de ce texte de l’antiquité tardive, avant le Moyen-âge – on ne sait pas trop où mettre les frontières –, qui a toujours été d’actualité, que ce soit au Moyen-âge, que ce soit à l’époque moderne, à l’époque contemporaine… L’actualité est réelle dans la mesure où il y a toujours des moines, aujourd’hui, qui vivent selon la Règle. Pour notre temps, ce que je vois, c’est que le grand intérêt de la Règle de saint Benoît, ou des monastères, c’est que, en fait, on n’est pas dans l’ordre de la proposition d’un produit. Aujourd’hui, on est beaucoup dans des gens qui téléphonent à la maison pour proposer une assurance, un produit, une rénovation énergétique… enfin, les gens sont saturés de propositions. Et souvent, on s’aperçoit que même dans l’Église, on se dit : « comment on va proposer la foi, comment on va atteindre les gens ? Est-ce qu’on va téléphoner ? » On voit qu’aux États-Unis, c’est ce qui se passe. Dans les Églises protestantes, ils n’hésitent pas à
appeler en disant : « on vous propose le produit Jésus Christ… ». Je trouve que l’actualité de la Règle aujourd’hui c’est de dire : « on n’a rien à proposer ». Nous vivons, nous, quelque chose au monastère : venez voir ! Ceux qui veulent peuvent venir. Il n’y a pas un marketing offensif, mais il y a une sorte de paisible invitation : « venez, venez vous reposer un peu ; venez là : vous voulez aller à la prière ? Il y a la prière. Vous voulez parler à un frère ? Il y a un frère ». Il y a quelque chose qui est une belle parole pour notre monde contemporain qui cherche tellement une efficacité dans les propositions diverses. Là, on trouve une efficacité, je crois, bien plus profonde, mais sans une proposition offensive. La proposition est plutôt accueillante. Ça, c’est une véritable actualité de la Règle.

SdV : Que diriez-vous à un jeune homme qui se pose la question de la vie monastique ?

Père Emmanuel : Ce que je viens de dire, en fait : « Viens, et vois », qui est la parole de Jésus dans l’évangile selon saint Jean (Jn 1, 39.46). « Viens, et vois », parce que le discernement chez nous se fait dans le réel de la vie. On ne sait jamais si quelqu’un est fait pour la vie monastique, tant qu’il n’a pas essayé la vie monastique pour une durée un peu longue. Ensuite, je lui dirais aussi, s’il me pose la question des conditions pour devenir moine, en reprenant la parole d’un de nos anciens abbés : « pour devenir moine, la condition, c’est de venir sans condition ». C’est-à-dire qu’il faut pouvoir rentrer dans cette vie non pas parce qu’on est capables de cette vie, mais parce qu’on est prêts à accueillir tout ce qui est proposé. Donc, la condition pour être moine, c’est de venir sans condition. Je crois que c’est très juste et très beau !

*En raison des restrictions sanitaires, il n’y aura que 50 places assises disponibles dans l’église. Le parvis et les alentours de l’église seront sonorisés. La célébration sera retransmise en direct sur le site internet du diocèse d’Albi : www.albi.catholique.fr et sur RCF Pays Tarnais.