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Éclairage sur le choral « Puer natus in Bethelem » 

L’adoration des mages 4

Puer natus in Bethelem

Premier choral du cycle de Noël de l’Orgebüchlein tel que prévu par Bach(1), le choral Puer natus in Bethelem (BWV 603) est intéressant pour plusieurs raisons.

En premier lieu, parce qu’avec In dulci jubilo (BWV 608) – là encore un choral du cycle de Noël – ce sont les deux seuls chorals de l’Orgelbüchlein à avoir un titre en latin. Cela montre bien que loin de vouloir faire table rase de la liturgie catholique romaine en son ensemble, la tradition luthérienne a au contraire adapté des chants déjà existants et ancrés dans la mémoire collective, certains étant toujours désignés par leur incipit latin deux siècles après que Luther ait affiché ses 95 thèses à la porte de l’église du château de Wittenberg ; peut-être même ces chants étaient ils encore parfois chantés avec leurs paroles latines ?

Ensuite parce que ce choral a beau ouvrir le cycle de Noël, il évoque l’Épiphanie. On aurait pu s’attendre à ce que Bach commence ce cycle par un choral centré sur les anges, la Vierge, ou les bergers – et il suffit de regarder les textes des autres chorals de ce cycle pour se rendre compte qu’il n’avait que l’embarras du choix. Mais non, c’est bien ce choral qui ouvre ce cycle. Pourquoi ?

Mais d’abord en quoi ce choral évoque-t-il particulièrement l’Épiphanie ? Déjà par ses paroles dont voici une traduction des deux premiers versets :

1. Un enfant est né à Bethléem, Jérusalem s’en réjouit. Alléluia. Alléluia.

2. Les rois de Saba sont venus.

Ils lui offrent l’or, la myrrhe et l’encens. Alléluia. Alléluia.

Mais il y a plus. Jacques Chailley, reprenant à son compte la lecture du musicologue Richard Terry, analyse la manière dont Bach, par un figuralisme musical dont il est coutumier, met en relief, dans cette pièce, plutôt le second verset que le premier. Selon cette hypothèse, le motif descendant de la pédale décrit les génuflexions des rois mages, tandis que les parties intermédiaires font sonner des fanfares royales. Le thème du choral est donc accompagné à la fois par la dignité majestueuse des trois visiteurs et par leurs respectueuses révérences devant l’enfant de Bethléem lorsqu’ils lui offrent leurs précieux présents (2).

Cela n’explique cependant pas la place octroyée à cette pièce dans l’Orgelbüchlein, d’autant plus que le plan prévu pour ce recueil a été méthodiquement réfléchi. D’abord l’année liturgique, en commençant bien entendu par l’Avent, puis divers thèmes théologiques ou spirituels. Jean-Sébastien Bach n’a laissé, hélas pour nous, pas même un tiers des chorals envisagés – 46 sur 164. Néanmoins, la plupart de ceux qui nous sont parvenus concernent justement l’année liturgique, et sont, redisons-le, dûment ordonnés (3).

Or, pourquoi commencer le cycle de la Nativité par un choral sur l’Épiphanie, alors que cette solennité, si l’on suit le calendrier liturgique, est située dans la deuxième partie du temps de Noël, après le Nouvel An (4) ? On peut certes invoquer le « hasard et la nécessité ». Bach a voulu répertorier les chorals chantés à Noël, et c’est celui-ci qui lui serait venu en premier à l’esprit. Il n’y a donc pas à chercher plus loin. C’est possible. Mais chez un homme aussi subtil et méticuleux que Bach, il serait étonnant qu’il n’y ait pas une autre raison. Et lorsque l’on sait l’attachement de Bach – à l’instar de Martin Luther – à la Bible, cela vaut la peine de l’ouvrir. Or, on découvre que, contrairement à ce que laisse entendre le calendrier liturgique, Noël et l’Épiphanie ne sont pas, bibliquement parlant, deux fêtes différentes. En effet, à Noël, c’est le récit de la naissance de Jésus et l’adoration des bergers prévenus par les anges (Luc 2,1-20) qui est prescrit dans la liturgie. La visite des mages (5) telle que racontée en Matthieu 2,1-12 est lue quant à elle pour l’Épiphanie, donc bien après le 25 décembre ainsi que cela a déjà été dit ci-dessus.
De ce fait, pour le « commun des mortels », cela donne l’impression que dès la naissance de Jésus les bergers sont accourus, alors que les mages sont arrivés quelques jours après. Mais Luc ne parle ni de l’étoile ni des mages dans son récit de la Nativité, pas plus que Matthieu ne parle des bergers et des anges dans le sien. Ce sont deux récits qui racontent le même événement – la naissance de Jésus – avec différents détails qui leur sont propres ; détails qui ont bien sûr des significations exégétiques et théologiques dont il serait trop long de faire état dans le présent article. Mais revenons à Bach. Ne serait-ce pas cela qu’il aurait voulu signifier en plaçant ce choral au début du cycle de Noël ? En un mot : l’Épiphanie, c’est le récit de la Nativité raconté par l’Évangile selon Matthieu, et non pas un événement ultérieur. Il est certes impossible d’avoir la certitude que telle était la pensée de Bach en mettant ce choral à cet endroit du recueil de l’Orgelbüchlein. Mais même si cette place est seulement le fruit du hasard, ce rappel exégétique et christologique que l’on peut y lire mérite toutefois d’être souligné.

Frère Sébastien-Jean (o.s.b.)

(1) Cf. Jacques CHAILLEY, Les chorals pour orgue de J.-S. Bach, Paris, Alphonse Leduc, 1974, p. 15.

(2) Cf. Ibidem, pp. 212-213.

(3) Cf. Ibidem, pp. 15-20.

(4) Remarquons d’ailleurs à ce sujet que Bach a placé trois chorals pour cette fête du Nouvel An qui occupe une plus grande place dans la liturgie luthérienne que dans la liturgie catholique romaine Il s’agit de Helft mir Gottes Güte preisen, Das alte Jahr vergangen ist et In dir ist Freude (BWV 613, 614 et 615), même si ce dernier n’est pas peut-être pas à sa bonne place dans ce recueil. Cf. Jacques CHAILLEY, op. cit. p. 15, p. 20 pour plus de détails sur la place de la fête du Nouvel An dans la liturgie luthérienne et pp. 150-151 sur le choral In dir ist Freude.

(5) Il n’est pas dit dans l’Évangile selon Matthieu qu’ils étaient roi, même si c’est ce que la tradition chrétienne a retenu, faisant foi à des évangiles apocryphes.

 

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