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Le Psaume 121(122) : de la fin au commencement, et vice-versa

Dans notre programmation des chants liturgiques, nous avons l’habitude, à En Calcat, de chanter certaines pièces dévolues à l’Avent lors des vigiles et des vêpres de la 33ème et de la 34ème semaines du temps ordinaire, et non à partir de la 1ère semaine de l’Avent. Cette pratique peut sembler bizarre au premier abord. Elle met néanmoins en relief la signification de l’Avent.

L’Avent est le temps d’attente de l’avènement du Seigneur Jésus-Christ – avent est le diminutif de avènement. À Noël, nous célébrons la venue du Verbe dans notre monde, ce qui constitue le premier avènement du Christ. De son côté, la solennité du Christ Roi de l’Univers, le dernier dimanche de l’année liturgique, a pour but, ainsi que son nom l’indique, de bien mettre en lumière sa royauté universelle, royauté qui ne sera pleinement manifeste que lors de son second avènement à la fin des temps.

De saint Irénée de Lyon à Teilhard de Chardin

L’Avent nous fait donc méditer sur la longue attente du premier avènement du Christ, avènement qui a déjà eu lieu et qui marque non seulement la venue du Christ dans notre chair, mais aussi, plus fondamentalement, dans l’Histoire. Événement à première vue insignifiant (la venue au monde d’un enfant dans des conditions précaires) mais décisif (premier acte de la vie terrestre du Messie).

Le Père Teilhard de Chardin à la veille du départ de la Croisière jaune (Mai 1931),devant un véhicule conçu pour l’occasion par la marque Citroën.

En quelques mots, le Père Teilhard de Chardin souligne à la fois la nécessité de ce si long prélude et l’impact universel de cette naissance :

« Les prodigieuses durées qui précèdent le premier Noël ne sont pas vides de lui [du Christ], mais pénétrées de son influx puissant. C’est l’agitation de sa conception qui remue les masses cosmiques et dirige les premiers courants de la biosphère. C’est la préparation de son enfantement qui accélère les progrès de l’instinct et l’éclosion de la pensée sur Terre. Ne nous scandalisons plus, sottement, des attentes interminables que nous a imposées le Messie. Il ne fallait rien moins que les labeurs effrayants et anonymes de l’Homme primitif, et la longue beauté égyptienne, et l’attente inquiète d’Israël, et le parfum lentement distillé des mystiques orientales, et la sagesse cent fois raffinée des Grecs pour que sur la tige de Jessé et de l’Humanité la Fleur pût éclore. Toutes ces préparations étaient cosmiquement, biologiquement, nécessaires pour que le Christ prît pied sur la scène humaine. Et tout ce travail était mû par l’éveil actif et créateur de son âme en tant que cette âme humaine était élue pour animer l’Univers. Quand le Christ apparut entre les bras de Marie, il venait de soulever le Monde. »

(Pierre TEILHARD DE CHARDIN, « Mon Univers »
dans : Science et Christ, « OEuvres de Pierre Teilhard de Chardin », Volume IX, Paris, Seuil, 1965, pp. 89-90).

Le texte le dit bien : la longue attente de la venue du Christ dans notre chair était déjà habitée par Celui qui devait venir. De même, le Christ est présent au cœur de l’attente de son second avènement, car ces deux avènements participent à un seul et même acte qui se déroule tout le long de l’Histoire. Écoutons là encore le Père Teilhard de Chardin :

« Création, Chute, Incarnation, Rédemption, ces grands événements universels cessent de nous apparaître comme des accidents instantanés disséminés au cours du temps (…) : ils deviennent, tous les quatre, co-extensifs à la durée et à la totalité du Monde ; ils sont, en quelque sorte, les faces (réellement distinctes mais physiquement liées) d’une même opération divine. »

(Pierre TEILHARD DE CHARDIN, « Note sur quelques Représentations historiques possibles du Péché originel » dans : Science et Christ, op.cit., p. 69).

Il n’y a rien de vraiment nouveau dans ce que nous dit ici Teilhard. Il retraduit simplement instinctivement la christologie de saint Irénée qui prend elle-même principalement appui sur les écrits de saint Paul et de saint Jean. Le Verbe est devenu chair, ce qui veut dire que l’éternité a, pour ainsi dire, rencontré le temps, le cours de l’histoire. La Croix fait le lien, le pont entre l’univers visible et invisible. C’est pourquoi Irénée peut dire que tout homme est sauvé par la Croix du Christ. Elle embrasse tous les siècles et tout l’univers et c’est bien ce que signifie le verbe « récapituler » – anakephalioô – si souvent employé par saint Irénée.

Car, en grec, le verbe Anakephalioô est formé de la préposition Ana qui exprime l’idée de déplacement du bas vers le haut, mais peut aussi exprimer une idée de retour en arrière, de recommencement. Quant à Kaphalioô, ce verbe signifie « frapper à la tête », Kephalh signifiant « tête » en grec. « Récapituler » est donc la traduction littérale de Anakephalioô. Ce verbe recoupe néanmoins d’autres acceptions possibles telles que : résumer, assumer, recréer, restaurer, renouveler, achever. On trouve dans le Nouveau Testament deux emplois de Anakephalioô, tous deux sous la plume de saint Paul :

  • Rm 13,9 : « En effet, les commandements : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, ainsi que tous les autres, se résument [récapitulent] dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
  • L’autre occurrence, c’est Ep 1,10, mais il convient de commencer par le verset 9 : « Il [Dieu le Père] nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même (verset 10 🙂 pour mener les temps à leur accomplissement : récapituler toutes choses en Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. »

Pour résumer la pensée de saint Irénée, on peut dire qu’il y a trois temps dans le dessein divin :
– La création originelle
– L’Incarnation du Verbe, c’est-à-dire la vie, la mort et la résurrection du Christ
– Et enfin l’achèvement eschatologique et définitif lorsqu’à la fin des temps le Christ reviendra pour tout récapituler.

Mais le Christ se trouve lui-même impliqué dans ces trois temps. Le cours de l’histoire peut ainsi être aussi schématisé par un cercle qui lui-même englobe deux cercles dont le premier représente l’Ancien Testament, et le second part de l’Incarnation du Verbe jusqu’au retour glorieux du Christ (cf. schéma ci-joint).

Extrait de : Bernard SESBOÜÉ, Tout récapituler dans le Christ. Christologie et sotériologie d’Irénée de Lyon, Coll. « Jésus et Jésus-Christ » n° 80, Paris, Desclée, 2000, p. 182.

Célébrer pendant l’Avent ou célébrer le Christ Roi de l’Univers revient donc à célébrer une attente. Dans le premier cas, certes, c’est se remémorer une venue, alors que dans le second c’est espérer un retour. Mais dans les deux cas, nous restons dans les mêmes harmoniques, et certains chants conviennent tout à fait pour l’un et l’autre de ces deux temps liturgiques.

Le Psaume 121(122) au départ et à l’arrivée

Ce n’est sûrement qu’une coïncidence, mais un détail liturgique illustre bien le fait qu’à la fin de notre cycle liturgique nous revenons d’une certaine façon à son début. Il s’agit du Psaume 121 qui figure au premier dimanche d’Avent de l’année A et au dimanche du Christ Roi de l’année C. Donc au premier dimanche de notre cycle triennal ainsi qu’au dernier.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’importance du psaume lors de la célébration de l’eucharistie : « La première lecture est suivie du psaume responsorial qui fait partie intégrante de la liturgie de la Parole et a une grande importance liturgique et pastorale, car il favorise la méditation de la parole de Dieu. » (Présentation générale du Missel Romain, début du § 61).

Même si c’est une pièce musicale relativement courte dont il convient à juste titre de soigner l’esthétique, le psaume n’est pas un simple interlude sous forme de « karaoké » destiné à réveiller l’assemblée entre deux lectures. C’est vraiment la Parole de Dieu qui est proclamée.

Ange organiste (Détail du Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton)

Et le choix de tel ou tel psaume n’est pas dû au hasard ; il est en lien avec la lecture qui le précède. Pour le 1er dimanche de l’Avent année A, il s’agit de Is 2,1-5, et pour le Christ Roi année C de 2S 5,1-3. De plus, pour le 1er dimanche de l’Avent A, c’est le psaume en son intégralité qui est chanté, alors que pour le Christ Roi C, il est amputé de quelques versets. Enfin, le refrain proposé n’est pas le même. Si c’est bel et bien le même psaume qui est retenu pour la liturgie de ces deux dimanches, sa coloration est néanmoins différente.

De fait, plusieurs thématiques peuvent être abordées dans un même psaume, et, en l’occurrence, ce psaume convient bien pour faire écho à la marche universelle vers la Maison du Seigneur annoncée dans le chapitre 2 du Livre d’Isaïe. Précisons que ce psaume 121(122) fait partie des Chants des montées (ou des degrés, c’est-à-dire des marches d’un escalier). Selon la Michna (traité Soucca), cette collection de quinze chants constituée des psaumes 119(120) à 134(135) était chantée par les pèlerins qui se rendaient à Jérusalem pour Soukkoth (la fête des tentes). Il y a un chant pour chacune des quinze marches qui descendent de l’enceinte des hommes à celle des
femmes. C’est donc un psaume idéal pour évoquer un pèlerinage vers Jérusalem, pèlerinage qui plus est universel !

Le Temple de Jérusalem (Détail du Couronnement de la Vierge d’EnguerrandQuarton)

La royauté de David et de sa dynastie est aussi toutefois évoquée, et ce psaume se trouve dès lors bien à sa place après la lecture des premiers versets du chapitre 5 du Deuxième Livre de Samuel, surtout dans une célébration de la solennité du Christ Roi de l’Univers.

* * *

Que retenir en conclusion de tout ceci. D’abord, comme je l’ai déjà écrit dans un précédent article sur le choral Herzlich thut mich verlangen mis en ligne sur ce même site internet, il convient de s’abstenir de trop cloisonner les différents temps liturgiques. Que l’on soit dans le temps de l’Avent ou dans les dernières semaines de l’année liturgique, nous attendons la venue du Sauveur.

Ensuite, ne jamais oublier que les Psaumes sont aussi la Parole de Dieu, à l’instar de la première lecture, de la deuxième et de l’Évangile du jour. Pour qui lit et médite régulièrement la Bible, c’est chose acquise – du moins je l’espère. Ça ne l’est toutefois peut-être pas pour les fidèles qui se contentent d’une messe hebdomadaire ou mensuelle. Or je n’ai encore jamais entendu un prédicateur axer son homélie du dimanche sur le psaume et très rarement y faire ne serait-ce qu’une brève allusion. Il ne revient certes pas aux chantres ni aux organistes de commenter la Parole de Dieu pendant l’eucharistie. Néanmoins je les invite, si ce n’est déjà le cas, à se nourrir
eux-mêmes spirituellement, de ces merveilleux versets bibliques. Y apposer une mélodie, les chanter ou les accompagner est justement une bonne occasion de les méditer, et ce faisant de pouvoir mieux en faire découvrir la richesse.

Frère Sébastien-Jean (o.s.b.)

Ange harpiste (Détail du Couronnement de la Vierge d’Enguerrand Quarton)

* * *

Le psaume 121(122)
dans la traduction du Psautier Liturgique Œcuménique

Quelle joie quand on m’a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur! »

Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem !
Jérusalem, te voici dans tes murs :
ville où tout ensemble ne fait qu’un !

C’est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur,
là qu’Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur.
C’est là le siège du droit,
le siège de la maison de David.

Appelez le bonheur sur Jérusalem :
« Paix à ceux qui t’aiment !
Que la paix règne dans tes murs,
le bonheur dans tes palais ! »

À cause de mes frères et de mes proches,
je dirai : « Paix sur toi !»
À cause de la maison du Seigneur notre Dieu,
je désire ton bien.

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