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Au Lesotho, « réajuster en permanence notre boussole »

En ce début septembre 2020, Laëtitia et Baptiste évoquent les derniers mois et leurs péripéties : « Partir en mission, c’est humblement accepter que nos projections ne se réalisent pas telles qu’on les attendait … C’est aussi se laisser interpeller par les méandres de nos vies pour réajuster en permanence notre boussole sur l’Essentiel.

  • LA Bakery : l’apprentissage du lâcher-prise (Laëtitia)

En juin, je vous témoignais du climat de confiance qui avait pu être restauré avec la comptable en charge de notre projet (poulailler, tuck-shop et bakery).

Après une levée partielle du confinement par les autorités gouvernementales et constatant que les écoles resteront fermées jusqu’en 2021, je profite de mon shopping régulier pour me remettre en quête de nouveaux clients…

Mon travail de prospection de longue haleine avait déjà fait germer l’idée de proposer nos biscuits en guise de dessert dans certains fast-food.

Le concept semble alléchant mais les basothos n’ont plus beaucoup d’argent pour acheter du superflu !  Pour autant, deux sites de vente à emporter débutent notre collaboration et très vite la distribution de biscuits reprend…  Le magasin S. repasse de nouveau ses commandes hebdomadaires même si les commandes sont à la baisse en raison de la consommation très basse.

Le gouvernement n’a pas respecté son calendrier salarial et de nombreuses personnes n’ont pas été payées. De plus, le confinement ayant un impact direct sur l’économie informelle du pays, de nombreux foyers sont plongés dans la misère, essayant de garder leur maigre pécule pour payer le sac de Pappa (polenta de maïs) qui nourrira les proches pendant le mois.

Notre petite bakery essuie donc immédiatement les conséquences désastreuses du Covid.

 

Chaque fin de mois est financièrement incertaine : pour autant, la providence nous a toujours permis de payer nos salariés en couvrant tous nos frais avec nos recettes.

Les coupures de courant devenues quotidiennes limitent de plus en plus notre production et nous tachons de commencer très tôt le travail de pétrissage pour assurer la cuisson sur des tranches horaires moins chargées en demande électrique. Un véritable jeu de sioux pour éviter de nombreuses pertes !

Cette période délicate ne fait que rajouter un poids supplémentaire sur les épaules de nos deux cuisinières qui, malgré cette chance d’avoir conservé leur emploi, restent sur le qui-vive. Me M. est notamment un jour confrontée au mécontentement de clientes qui viennent se plaindre à la comptabilité des services.

Disputes, insultes, accusations … Très vite, l’imbroglio tourne au vinaigre et Me M. ne supportant pas l’injustice des reproches, en vient à m’apporter sa lettre de démission.
Le management, persuadé d’avoir été trompé par les mensonges de notre cuisinière, ne cherche pas à la retenir.

Je me retrouve très vite coincée entre deux feux et réalise que personne n’a vraiment pris le temps de comprendre la situation. Prenant mon courage à deux mains, je m’atèle à écouter les récits des uns et des autres pour essayer de reconstituer ce qui s’est réellement passé pour finalement conclure que Me M. n’a commis aucune faute professionnelle. Les plaintes ne sont que le résultat d’une mauvaise interprétation des paroles et d’attitudes, ajoutée à un défaut d’organisation dans la commande des pizzas.

Trois semaines après cet incident, après avoir enchaîné meeting sur meeting à ce sujet et évité un conseil disciplinaire, notre cuisinière est finalement blanchie et rétablie. Le management en a tiré la leçon qu’il est facile de juger selon les apparences et qu’il était primordial de prendre le temps de l’écoute. Chose de plus en plus difficile à préserver dans un monde très occupé, mais qu’il est indispensable de cultiver pour ne pas rapidement sombrer dans l’erreur.

Malgré l’issue heureuse de ce démêlé, Me M. nous confirme néanmoins rapidement son désir de partir : son fils de 4 ans laissé en charge aux grands-parents comme la plupart des enfants basothos pour permettre aux forces vives de travailler, lui manque cruellement.
Elle et son mari ayant trouvé un nouvel emploi à l’hôpital de Thaba Tseka vont pouvoir enfin rejoindre leur fils. Ce choix, même s’il est douloureux pour notre petite équipe en place, est tellement compréhensible !

 

Après quelques hésitations concernant le recrutement éventuel d’un remplaçant, nous faisons vite le choix de ne garder qu’une cuisinière en attendant que l’activité reparte … Finalement, avec le recul, je réalise que ce départ était providentiel  à la fois pour notre bakery délestée d’un salaire durant cette période économique difficile et pour cette jeune maman qui a enfin la joie de vivre en famille. Elle aura la gentillesse de m’annoncer sa seconde grossesse quelques semaines plus tard par téléphone …

Début juillet, le Covid franchit l’enceinte de l’hôpital. Tous les travailleurs sont alors testés et les quelques cas positifs sont mis d’office en quarantaine. Ma cuisinière restante au profil de santé fragile, est priée de garder son domicile et de ne venir que pour cuire du pain pour les patients.
La vente au Tuck-shop est brutalement arrêtée ainsi que toutes les ventes à l’extérieur.

 

Là-dessus, la découverte fortuite d’un kyste abdominal justifiant une chirurgie rapide en Afrique du Sud m’oblige à tout lâcher du jour au lendemain. Lâcher-prise qui durera finalement un bon mois et demi.

 

  • L’hôpital : le challenge du COVID  (Baptiste)

Avez-vous déjà vécu une tempête de sable ? On distingue au loin un nuage jaune approchant très rapidement… c’est encore calme ; puis subitement, nous voilà dedans, et là … Gare !

Au Lesotho, c’est doublement vrai, à la fois parce que nous sommes au mois d’août, mois des grands vents et des tempêtes de poussière, mais également parce que c’est un peu ce que nous vivons avec le COVID. Nous l’avons vu arriver de loin, tel un mirage ; nous le prenons actuellement de plein fouet : hôpital bondé, nombreux cas positifs, premiers  décès.

Rapidement, nous avons été confrontés à une problématique quelque peu inattendue : la pénurie en équipement médical, notamment des différentes tenues et combinaisons destinées aux soins des patients suspects.

Malheureusement, au Lesotho, comme dans beaucoup de pays africains, la corruption est présente, et quelque temps après le début de l’épidémie, le gouvernement a informé qu’il ne pouvait plus fournir ce type de matériel, faute de moyens financiers et ce, malgré les nombreuses aides internationales. Ainsi chaque centre de soins devait faire avec … ou plutôt sans !

Les suites ont été marquées par de nombreux mouvements de grève hospitaliers, ainsi qu’une véritable terreur vis-à-vis de ce virus et des personnes suspectes ou contagieuses. Une patiente atteinte du COVID, hospitalisée pour un problème respiratoire, a été laissée à l’abandon dans une chambre pendant presque vingt heures d’affilée, faute de tenue adaptée, et retrouvée au sol, le lendemain matin, décédée.
Ce drame est le tragique reflet de cette phobie généralisée.
Heureusement, à ce jour, nous avons pu obtenir le matériel demandé.

 

Malade du Covid…

 

Durant cette période de sous activité médicale correspondant au départ précipité de Laëtitia, j’ai donc pu m’occuper des enfants, assurant seulement les échographies d’urgence et les avis pour différentes prises en charge.

J’ai à ce propos une belle histoire concernant un jeune garçon de 12 ans, arrivé à l’hôpital en raison d’une détresse respiratoire grave. Nous n’avions plus d’oxygène (uniquement des concentrateurs) et notre service de radiologie était en panne en raison d’un récent dégât des eaux. Ce patient s’était fait écraser par un tracteur. Son état était trop critique pour le transporter sans oxygène à trois heures de route.

C’est finalement avec les moyens du bord, c’est-à-dire nos stéthoscopes et l’appareil d’échographie que nous avons pu diagnostiquer un hémopneumothorax (de l’air et du sang dans la plèvre), plusieurs fractures de côtes et un hématome du foie. Poser un drain thoracique à un enfant sans aucune imagerie … c’était une première pour moi, sérieusement risquée mais nous n’avions pas le choix.
L’histoire se termine heureusement bien. Je vois encore lors de sa sortie le sourire radieux de cet enfant sauvé qui d’un vif geste complice, souleva son T-shirt pour me montrer son côté cicatrisé !

 

 

Au retour de Laëtitia, qui présentait des symptômes suspects, c’est en famille que nous avons été mis en quarantaine durant trois semaines. Cette période a été un bon test pour Joséphine, la manipulatrice radiologique que je forme à l’échographie.

En effet elle a dû assumer, seule, durant cette période, l’ensemble des échographies obstétricales… ce qu’elle a parfaitement réussi, à la joie de tous et particulièrement la mienne ! A mon retour, j’ai retrouvé une Joséphine surmotivée, heureuse et particulièrement avide de poursuivre cette formation. Je commence à récolter les fruits de mon enseignement !

Mon absence professionnelle transitoire associée à l’incertitude de la situation actuelle au Lesotho a refait prendre conscience à notre partenaire de l’urgence de la transmission de mes compétences échographiques. C’est plus que jamais l’objectif premier des mois à venir…

 

  • La famille : en quarantaine

Depuis début juin, les frimas de l’hiver refroidissent rapidement les intérieurs des maisons inadaptées pour les basses températures. Les journées sont courtes, froides mais radieuses ! Nous essayons de garder l’habitude de déjeuner au soleil car à 13 h, il fait souvent meilleur à l’extérieur que dans nos murs qui peinent à se réchauffer.

Très vite, Baptiste renoue avec ses habitudes de bûcheron saisonnier pour nourrir un poêle glouton … Avec quelques épaisseurs sur le corps, notre confort spartiate est facilement enduré car nous voyons bien autour de nous à quelle enseigne sont logés les basothos : toit de chaume ou de tôle, sans eau et sans électricité, avec souvent comme seul moyen de chauffage un feu de bois sur lequel cuisiner…

L’arrivée du COVID ne fait que rajouter une contrainte de plus à ce peuple qu’on entend souvent répéter : « On va beaucoup souffrir… ». N’ayant plus le droit de véhiculer nos enfants sous peine d’une amende salée, nous tirons profit du somptueux cadre qui nous entoure en dégourdissant nos jambes tous les weekends : rien de tel qu’un bon bol d’air pour aérer nos esprits !

Nos enfants semblent satisfaits de ce mode de vie : toujours dehors, une fois les leçons révisées et les exercices faits, ils disparaissent quelques heures pour faire griller du maïs, aider le berger voisin à rentrer ses bêtes ou bien meubler une cabane…
Leurs bouilles, certes rosies et brûlées par le froid, mais toujours fendues d’un sourire témoignent de leur joie à vivre cette vie simple et saine !

Ce petit rythme tranquille a été donc brutalement perturbé par le diagnostic du radiologue sud-africain analysant le scanner réalisé à Maseru début juillet. Le kyste abdominal de Laëtitia nécessite une chirurgie rapide.
Rentrer en France pour cette raison aurait signifié conclure la mission en raison de l’impossibilité d’un retour aérien.
En un weekend, grâce aux qualités organisationnelles de Baptiste et au soutien des expatriés français, nous parvenons à prendre contact avec un chirurgien de Johannesbourg qui accepte d’opérer dans la foulée.

 

  • Vécu de Laëtitia

Malgré toutes les formalités administratives obtenues en urgence de l’ambassade de France sud-africaine et la présence insistante de notre consul, mon passage de frontière prendra plus de dix heures ! Pour moi, seule la force de la prière d’intercession a fait fléchir l’administration qui restait butée derrière ses formulaires, refusant de voir le caractère urgent de ce transfert…
le 9 juillet dernier j’ai atterri chez Caroline et Loïc P, un couple de la communauté de l’Emmanuel, qui ont eu la gentillesse de m’ouvrir leur maison et de me dorloter. En constatant le marathon de paperasse qui s’est joué entre l’assistance, la clinique, les médecins, les laboratoire, la sécurité sociale et la mutuelle, j’ai très vite compris pourquoi le ciel m’avait envoyée dans ce foyer. Caroline, dont l’anglais excelle, est une coordinatrice en or !
Tests sanguins, scan complémentaire,  test COVD … sans oublier confession et sacrement des malades : me voilà prête pour la chirurgie qui se déroulera sans mauvaise surprise.

En raison de l’épidémie, les visites sont interdites à la clinique mais l’attente ne sera pas trop longue puisque deux semaine après mon départ précipité, me revoilà de retour au Lesotho ! suturée, fatiguée, infectée par le COVID … mais heureuse de retrouver les miens et de m’être fait de nouveaux amis !

 

  •  Vécu de Baptiste et des enfants

Ce temps, bien que particulier en raison des circonstances est néanmoins privilégié : nous nous sommes retrouvés entre hommes ! je me suis donc recentré sur mon rôle de père assurant le travail scolaire, les tâches ménagères et mon travail en pointillé.

Mes talents culinaires ont été mis à rude épreuve, notamment lors de mes tentatives de gâteaux improvisés … le silence, au moment du dessert suivi d’échanges de regards se terminant en éclats de rire, en disaient long … c’était digne de « l’omelette au sucre » ! Finalement quelques journées « trappeurs » réclamées par nos garçons (le principe est de se nourrir avec ce que nous offre Dame Nature) ont été une belle opportunité pour le père de famille à court de recettes, et un excellent exercice pour ces garçons rêvant de « raid de survie ».

La tourterelle grillée à la broche est devenue leur mets favori. Ils ont même tenté une nuit à la belle étoile au coin du feu : il a fallu tout de même attendre 10 h du soir pour assister au repli comique de nos quatre glaçons en pyjama !  On est tous d’accord : l’acclimatation prend du temps !

Pattes de poules grillées…
  • Dieu : « quand la mer se déchaîne … »

Nous avions inscrit la prière dans nos habitudes et la houle des derniers évènements nous a incités à nous accrocher davantage à Dieu. Mais la tempête s’est réellement déchaînée au retour d’Afrique du Sud , alertée par les craintes de la consule, FIDESCO nous a posé très rapidement la question d’un éventuel rapatriement. En quelques semaines, que d’émotions et de déstabilisation !!!

Il est vrai que le COVID flambe autour de nous et que la situation ne va probablement pas s’améliorer rapidement. Nos enfants, qui n’ont plus d’école depuis 4 mois, ne peuvent pas retourner à Soofia (cf RM n° 1) avant janvier 2021.
La facilité de reprendre une vie « normale » en France est tentante : pour autant un départ précipité dans un tel contexte nous aurait laissé une sensation d’inachevé, d’abandon et une grande culpabilité face à la misère de nos frères basothos qui ont grand besoin d’être soignés.
Une fois que la possibilité d’un franchissement de frontière justifié par une urgence vitale a pu être vérifiée auprès des autorités compétentes, nous avons fait le choix de poursuivre notre engagement.

Nous voulions continuer à servir ceux vers lesquels nous avons été envoyés. Dans la prière alors que nos cœurs oscillaient entre deux extrêmes, nous avons reçu ces belles paroles qui ont fin de faire taire nos dernières hésitations :

Jean 10, 11-15 : «  Moi, je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, qui n’est pas le pasteur, et a qui n’appartiennent pas les brebis, voit-il  venir le loup, il laisse les brebis et s’enfuit et  le loup s’en empare et les disperse.  C’est qu’il est mercenaire, et ne se soucie pas des brebis.

Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. »

Certes, rester implique à présent de porter nos missions tout en faisant face au COVID et en gérant la scolarité de nos enfants à la maison. Mais le discernement nous a permis de renouveler ce « oui », posé un an auparavant, lors de cette belle d’envoi.

Nous ne savons pas de quoi demain sera fait mais nous avons une certitude, celle d’être à notre juste place : celle du service… »

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Pour découvrir FIDESCO et soutenir les volontaires : www.fidesco.fr

 

Le bon Berger (Nazareth)