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Séjour au Népal : 3 – Muktinath, centre de pèlerinage hindou vishnouite

Précédemment :

Séjour au Népal : 1 – Swayambhunath, lieu bouddhiste de Katmandou

Séjour au Népal : 2 – Une célébration du «bouddhisme tibétain» pour des défunts

 

« Muktinath est un de ces grands lieux de pèlerinage.
Nous y avons passé trois jours et célébré la Pentecôte à 3700 m d’altitude.
Ce fut pour moi une grande joie intérieure, simple et profonde.
Pour y parvenir depuis Katmandou, il nous fallut une journée de car jusqu’à Pokhara, deuxième ville du Népal, puis une journée de jeep jusqu’à Muktinath. Le parcours se fit le long de la Kali Gandaki dans une des vallées les plus profondes au monde, avec vue sur le Nilgiri à 7061m alors que nous étions seulement à 1500 m d’altitude.
Deux autres sommets de plus de 8000 apparurent, l’Annapurna I et le Dhaulagiri.

 

Le Dhaulagiri (8167 m)
Lors de l’étape de Pokhara, l’heure passée en fin d’après-midi sur le lac Fewa dans une barque m’invita à goûter le silence dans un recueillement paisible, à contempler tout autour la végétation luxuriante.
 En haut des collines, presque cachée, se dessinait une gompa avec un peu plus loin son stupa. Le temps était couvert mais d’une température douce, dans une ambiance de calme et de repos.
 Par temps clair et dégagé, les Annapurnas se reflètent à la surface du lac. L’action de grâce pour cette création offerte au regard et à la garde de l’homme habitait mon cœur.
 Face à cette majesté de sommets dressés à des hauteurs vertigineuses, le cantique des créatures du livre de Daniel (Dn 3, 57) se rappela souvent à moi. Action de grâce non seulement pour la création mais aussi pour les priants en ces lieux monastiques qui ont su garder, perpétuer, transmettre leur tradition spirituelle et religieuse et semblent résister malgré tout au matérialisme et au desséchement spirituel qui soufflent depuis l’Occident.
J’ai parfois peur que ce matérialisme occidental poussé à l’extrême ne fasse perdre à beaucoup la poésie du monde, la gratuité de sa beauté, le mystère de sa grandeur.
Cependant, si des priants cachés quelque part (et cela reste tout de même vrai en Occident !) portent cette création dans la prière et y distillent leur rosée spirituelle pour l’humanité entière, alors tout n’est peut-être pas perdu…
 Muktinath se situe aux portes du Mustang, district du nord du Népal, à la frontière du Tibet auquel on accède par des cols de plus de 4000 m.
C’est dans ce territoire que la rivière Kali Gandaki prend sa source à 5000 m.

Vue sur le village de Kagbéni dans les Himalayas au bord de la Kali Gandaki aux portes du Mustang
Cette rivière sacrée creuse son lit entre le Dhaulagiri et l’Annapurna I, et y charrie un limon gris anthracite donnant à la rivière une teinte obscure, d’où son nom de kali, la « noire ».
Muktinath peut se traduire par le « Seigneur de la libération » – libération qui est le détachement total par rapport au monde et au cycle du samsara ; un autre sens possible est celui de « champ du salut ».
Muktinath est l’un des plus anciens temples dédié à Vishnou où des milliers de pèlerins hindous viennent de tout le Népal et même de l’Inde pour lui rendre hommage avec des offrandes.
Le temple est situé en hauteur et on y accède par un long escalier avec des paliers. En montant ces escaliers, Yann et moi avons eu l’occasion de croiser des sadhus ayant rompu tout attachement pour gagner la moksha, la libération.
 Dans le sanctuaire, je vis un brahmane prier et un pèlerin venir se prosterner devant lui de ses huit membres, les deux pieds, les deux genoux, la poitrine, les deux mains et le front – ce que le sanskrit nomme sastangam, geste commun de dévotion pour les hindous.
Ces escaliers m’évoquèrent le cheminement spirituel d’une quête d’élévation, de hauteur en hauteur, d’affranchissement à la pesanteur humaine et terrestre pour tenter d’effleurer le divin et le salut.
C’est bien pour cette réalité plus haute que montent jusque-là les pèlerins et qu’ils plongent dans deux piscines, puis les traversent en marchant, l’eau arrivant à la taille ou hauteur de poitrine.
On voit ainsi des brahmanes torse nu portant le cordon qui les distingue, des femmes trempant juste les orteils et s’aspergeant avec les mains, un petit garçon prenant la main d’une petite fille pour l’encourager à cette traversée réfrigérante, d’autres plus courageux qui avancent déterminés et plongent sous l’eau pour ressortir un ou deux mètres plus loin.
L’eau est très froide.
La purification continue ensuite sous les fontaines au nombre de 108, chiffre symbolique important pour les hindous vishnouïtes qui, dans leur géographie spirituelle, répertorient 108 lieux de pèlerinage.
 De ces fontaines coule l’eau sacrée. Après ces ablutions, les fidèles peuvent entrer dans le sanctuaire délimité par un mur de clôture ; les deux piscines étant en face et autour sur trois côtés les fontaines.
 Et ici, ils font une puja dont le culte est assuré par une nonne… bouddhiste !
En effet, à quelques dizaines de mètres du sanctuaire hindou, se trouve un monastère bouddhiste puisque Muktinath est aussi un lieu sacré pour les disciples du Bouddha qui honorent ici le boddhisattva Avalokiteshwara qui descend dans les enfers et en délivre les habitants.
 Par ailleurs, le Guru Rinpoché aurait séjourné et médité en ce lieu.
Cette cohabitation entre hindous et bouddhistes est pluriséculaire et paisible.

Point de vue sur les ‘ghats’ au bord de la Bagmati à « Pashupatinath » Temple hindou

Tout disciple du Christ est aussi un pèlerin…
La rencontre interreligieuse est un appel à suivre le Seigneur au carrefour des nations

La force du pèlerin est de se mettre sans cesse en route, aiguillé par le désir d’un ailleurs autre, plus grand, plus loin, plus haut, vers quelqu’un ou quelque chose qui, en définitive, se dérobera toujours à sa quête, à sa marche au moment même où il croira toucher au but.
Alors, il faut repartir sur les chemins et de nouveau se faire pèlerin. Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, chantons-nous au monastère.
Nous avançons, chacun, chacune, de pèlerinage en pèlerinage, avec l’espérance d’un cheminement spirituel capable de nous ouvrir sur l’altérité du tout Autre, de l’étranger parfois si proche, du proche parfois si lointain.
La rencontre interreligieuse est un appel à suivre le Seigneur au carrefour des nations, dans cette Galilée où il nous précédera toujours.
Tout disciple du Christ est aussi un pèlerin.
Porté par sa foi, il entre en dialogue au nom du Christ avec le monde qui recèle bien des manières différentes et respectables d’exprimer ses croyances, ses mythes, ses philosophies, toutes ces richesses insondables du cœur de l’homme comme autant de semences du Verbe qu’il nous faut « reconnaître, préserver et faire progresser » pour reprendre la déclaration conciliaire Nostra Aetate.
Fr. Nathanaël durant son séjour au Népal

Sortir de son cloître pour un temps, quitter sa zone de sécurité si confortable, se défaire du familier, c’est partir à la rencontre du Christ, cet inconnu si insondable.
Finalement, entrer en dialogue avec les religions, c’est se quitter soi-même pour mieux aller à la rencontre du Christ au-delà de l’horizon connu, mais c’est aussi entrer au dedans de soi-même pour entrer en colloque intime avec Lui, Jésus-Christ, si proche et si lointain et qui n’eut jamais d’endroit où reposer sa tête.
Et comment un disciple du Christ ne serait-il pas pèlerin du dialogue et de la rencontre lorsqu’il le sert dans son Église, elle-même en pèlerinage sur cette terre ? »