Je donne à l'Église
Agenda
Paroisses
Accueil Contacts

Méditation sur les quatre Évangiles à partir du 2nd concerto Brandebourgeois

Je vous propose de m’accompagner loin, très loin, au-delà de notre Système solaire, là où doivent se trouver actuellement les sondes Voyager I et Voyager II qui ont été lancées en 1977. Chacune d’elle contient un disque destiné à d’éventuelles intelligences extra-terrestres sur lequel ont été enregistrés divers morceaux de musique qui se veulent emblématiques des diverses cultures de notre planète. Et c’est le 1er mouvement du 2ème Concerto Brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach qui est placé au tout début.

Quatre instruments solistes – violon, hautbois, flûte à bec et trompette – accompagnés par un orchestre à cordes et un clavecin. Le mouvement commence par le violon, le hautbois et la flûte qui jouent à l’unisson un thème dans un schéma descendant. Pendant ce temps, la trompette, en retrait, joue un rôle d’accompagnement avant de s’imposer en faisant entendre un motif dans un schéma ascendant.

Les premières mesures du 2nd Concerto Brandebourgeois

Mais revenons sur Terre. D’abord, parce qu’il n’est heureusement pas obligatoire d’aller si loin pour écouter ce chef-d’œuvre musical. Ensuite, et surtout, pour parler du prologue de l’Évangile selon Jean. Or, quel rapport avec le 2ème Brandebourgeois ?

« Au commencement était le Verbe. »

Proclus de Constantinople

Ce rapport apparaît dans une homélie de Proclus de Constantinople (mort en 446) pour une fête commémorant les apôtres présents lors de la Transfiguration, à savoir Pierre, Jacques et Jean.

À propos de Jean, il écrit :

« Voyons à présent, s’il vous plaît, les privilèges qui reviennent en propre au trois fois bienheureux apôtre Jean.

Ce n’est pas parce qu’il partageait avec Pierre la divine pauvreté et qu’il était à ses côtés, signifiant son accord par son silence, lorsque Pierre affirma : « Je n’ai ni or ni argent » (Ac 3,6), qu’il mérita d’être un des trois élus ; c’est parce que, reposant sur la poitrine du Seigneur, il se façonna alors cette claire et sainte trompette par laquelle il allait seul révéler, d’une voix audacieuse et fidèle, ce que le ciel n’avait pas dit, ce que les anges n’avaient pas entrevu et ce qu’aucun des autres évangélistes n’avaient compris : « Au commencement était le Verbe ; le Verbe était auprès de Dieu ; Il était Dieu » (Jn 1,1).

Pour quelle raison le plus grand des évangélistes a-t-il donc écrit son évangile en dernier lieu ? Nous devons nous en informer.

C’est dans la langue des Hébreux que Matthieu a groupé les miracles de l’Évangile. Devenu disciple de Pierre, Marc mit à son tour par écrit tous les événements qui concernent le Seigneur Christ, c’est-à-dire sa naissance virginale, sa vie innocente, ses signes admirables, la jalousie des Juifs, la passion salvifique, sa mort vivifiante pour nous, sa résurrection dans l’incorruptibilité et son assomption dans le sein du Père. Luc, le disciple de Paul, suivit à son tour le chemin de ses prédécesseurs.

Jean seul, assis comme un pêcheur hors de vue mais spectateur des autres pêcheurs, vit que l’essentiel de la connaissance lui était réservé. Il prit donc en main la plume de l’évangéliste pêcheur, il prit le Poisson enfoui dans son propre cœur et il le vendit gratuitement aux fidèles en s’écriant : « Au commencement était le Verbe ». Il ne dit pas que le Christ tirait son origine de Marie, appelée sa mère, ni qu’il tenait son existence de Joseph, dit son père, ni qu’il descendait de Moïse, ou d’Abraham, « père de tous ceux qui vécurent avant la Loi » (Ga 3 et Rm 4,16). Il affirma simplement qu’au commencement était le Verbe. »

Joie de la Transfiguration d’après les Pères d’Orient,
Coll. « Spiritualité Orientale » n° 39,
Éditions de l’Abbaye de Bellefontaine, 1985, pp. 88-89

L’harmonie consonante des Évangiles

Je ne pense pas que Bach a voulu traduire ce texte patristique ni même illustrer l’Évangile « tétramorphe » – ou « quadriforme » si vous préférez le latin au grec – lorsqu’il a composé le 2ème Brandebourgeois, mais j’avoue que, personnellement en lisant ce texte de Proclus de Constantinople cette page musicale a résonné dans ma tête, tant il est vrai que les quatre instruments solistes se divisent en trois contre un, de même que les trois Évangiles synoptiques – Matthieu, Marc et Luc –, tout en étant déjà certes fort différents entre eux, peuvent se rapprocher et former un seul bloc en vis-à-vis de l’Évangile selon Jean tant ils s’en distinguent.

Néanmoins, malgré ces disparités les quatre textes arrivent à faire entendre une harmonie consonante. Et là encore, le 2ème Brandebourgeois offre une clef de lecture : trois instruments commencent leur motif par une quarte descendante, alors que le quatrième instrument soliste – la trompette – fait entendre un motif clairement ascendant. Or, les trois Synoptiques insistent sur l’humanité du Christ – sans pour autant en nier la divinité – ce que l’on appelle une « christologie d’en bas ». Saint Jean, au contraire, tient à affirmer sa divinité – sans rejeter son humanité – ce qui est une « christologie d’en haut ». Majorer l’une de ces approches christologiques au dépend de l’autre, c’est ce que l’Église nomme une hérésie. Il faut garder les deux, faire en sorte que ces deux christologies se répondent, qu’elles marchent de concert.

Frère Sébastien-Jean (o.s.b.)
Texte écrit dans le cadre d’un cours sur le Nouveau Testament donné au noviciat d’En Calcat

Vicente LOPEZ Y PORTANA (1772-1850), « Dieu le Père, l’Arche d’Alliance et les Quatre Évangélistes », huile sur toile, vers 1797 – © Ville de Castres – Collection musée Goya