Je donne à l'Église
Agenda
Paroisses
Accueil Contacts

De St-Amans V. en Algérie, Mgr Bouissière (1860- 1916)

Mgr Jules-Léon Bouissière est né au pied de la Montagne, à Saint-Amans Valtoret, le 1er août 1860, dans une famille d’artisans qui associait la forge et les débuts  d’un commerce de machinisme agricole.  Une famille nombreuse puisqu’il eut 7 frères. Par désir d’une solide formation chrétienne, cette famille orienta ce garçon prometteur vers le Petit Séminaire de Castres qu’il choisit de prolonger au Grand Séminaire d’Albi.

 

Ordonné prêtre le 7 juin 1884, il assure  d’abord divers vicariats  à Puylaurens, à Notre-Dame de Mazamet et à Saint-Salvy d’Albi. En 1894 il devient, à Albi, aumônier du Couvent Notre Dame, riche alors d’un pensionnat de filles très vivant. En même temps, il est chargé de la Semaine Religieuse du diocèse, un bulletin qu’il développa et qui jouait un grand rôle dans la culture d’un clergé agité par les luttes religieuses qui aboutirent, en 1905, à la séparation de l’Église et de l’État.

Photo du Pèlerin en 1913

Comme ce prêtre est remarqué dans cette responsabilité, Mgr Cantel, évêque d’Oran, obtient en 1899 de Mgr Fonteneau, alors archevêque d’Albi, que le jeune et brillant abbé Bouissière vienne créer et diriger la Semaine religieuse d’Oran. Il sera bientôt vicaire général de ce diocèse, mais aussi comme un frère quêteur qui va à travers la France, collecter des fonds pour construire la cathédrale du Sacré-Cœur à Oran. Parti en Algérie comme « prêtre fidei donum » dirait-on aujourd’hui, il devient évêque de Constantine en juin 1913.

Ces premières étapes de sa vie le montrent proche des urgences et des débats culturels de l’époque. Deux documents vont le préciser. À Oran, le 22 novembre 1905, il prononce un panégyrique de Sainte Élisabeth de Hongrie. Reine, elle portait le souci des petites gens et s’employait à limiter les guerres. Cette femme du XIIIème siècle était conduite par sa foi à des attitudes que nous qualifierions aujourd’hui de démocratiques. De même, dans un autre panégyrique consacré à Jeanne d’Arc, le 6 mai 1906 (avant sa canonisation qui viendra en 1920), il montre Jeanne qui sort du peuple, fille d’un laboureur ; elle n’entre pas dans les rivalités entre seigneurs. Elle est la voix et le cœur d’un peuple qui attend son roi. Mgr Bouissière est d’une génération vibrante de patriotisme et pour certains, espérant l’avènement d’un royalisme populaire. C’était le temps de l’Action Française avec Charles Maurras.

Tel est l’évêque qui arrive à Constantine en 1913. Nous disposons de son mandement pour la prise de possession de son siège, le 9 octobre. Le voilà dans une partie de l’Algérie qui n’est pas à l’abri des mouvements anticléricaux qui agitaient alors la France. Dès ce texte initial, il dénonce ceux qui, au nom de la science, répètent « qu’il n’y a pas de Dieu ». Sa mission d’évêque sera doctrinale, mais il vient aussi dénoncer « l’arrivisme » de ceux qui rêvent de succès matériels. Par ailleurs, il ne précise pas ce que pourrait être sa mission auprès de la population musulmane majoritaire, bien sûr, dans le Constantinois.

Ustensiles…

architecture…


Par contre, il déplore le contre-témoignage porté par le gouvernement et certains Français d’Algérie:« La plupart des chrétiens font étalage devant les musulmans de leur indifférence, trop souvent même de leur scepticisme et de leur irréligion, et l’on proclame, du haut de la tribune parlementaire, la France ‘première puissance musulmane de l’Afrique du Nord’ ! Les religieux dispersés, les écoles chrétiennes fermées, les églises inventoriées, les séminaires confisqués, le traitement du clergé supprimé en partie, le recrutement sacerdotal tari, telle est la situation lamentable créée aujourd’hui aux Évêques français ».

On voit que par la plume et par la parole, à Albi puis à Oran et Constantine, Mgr Bouissière fut un évêque de combat et de dialogue.  À deux reprises, le gouverneur général de l’Algérie réagit et « invite les fonctionnaires de l’ordre judiciaire à ne plus assister aux cérémonies religieuses où Mgr Bouissière prendrait la parole, une parole qui compromettrait l’union sacrée nécessaire en temps de guerre » (on était en 1916).

 Évêque de Constantine, Mgr Bouissière y est le successeur de Saint Augustin, le célèbre évêque d’Hippone. Son bulletin diocésain s’appelle l’Écho d’Hippone.

 

L’Ouest méditerranéen sous l’Empire romain

 

Quand arrive Mgr Bouissière, une basilique venait d’être construite à Hippone en l’honneur du plus célèbre des Pères de l’Église en Occident. Restait à inaugurer une statue géante de Saint Augustin qui accueillerait touristes et pèlerins à l’entrée de la basilique. Le 16 avril 1914 fut un jour faste pour notre évêque dont Louis Bertrand parle en ces termes dans l’Illustration du 2 mai 1914 :

« Dès l’aube, les chemins qui conduisent à la colline sont noirs de monde. Toute la population européenne, croyants ou incroyants, est en marche vers les terrasses de la basilique. Beaucoup d’indigènes musulmans se mêlent aux chrétiens. On sent bien qu’ici la gloire d’Augustin ne laisse personne indifférent, et qu’il est vraiment l’enfant du pays.

Portail de l’église de St-Amans-Valtoret

Le troupeau s’ébranla sous la conduite de son pasteur, Mgr Bouissière, l’actuel successeur de Saint Augustin sur le siège épiscopal. Il est vraiment admirable, ce prélat algérien ! Je retrouve en lui la figure, le caractère entreprenant, l’allure un peu rude et batailleuse des évêques africains des IVème et Vème siècles. Il nous vient du Tarn, comme Jaurès. Lui aussi, il a la carrure d’un entraîneur de foules, l’éloquence toujours prête, la parole imagée, le geste exubérant et pathétique. Ah ! le beau type d’évêque conquérant ! Il faut le voir, mitre en tête, crosse en main, l’hermine sur les épaules, dans les plis somptueux de son grand manteau violet. Il a la fière et martiale tournure d’un Lavigerie, d’un évêque de ce pays-ci, qui doit être d’abord un conducteur de peuples.

Mais le moment unique de la journée, ce fut lorsque l’archevêque de Carthage, du haut du parvis de la basilique, donna sa bénédiction solennelle à toute la terre d’Afrique, en élevant entre ses bras le reliquaire d’or qui contient le bras de Saint Augustin. Ce fut une minute d’émotion intense, comme si Augustin était de retour parmi nous, debout sur le seuil de son église, et comme si sa main paternelle s’abaissait sur nos têtes en un grand geste de paix et d’amour ».

 Les jours fastes s’éloignent avec le 2 août 1914, le début de la 1ère guerre mondiale. À Albi, Mgr Mignot prend de l’âge. Il obtient le concours de Mgr Bouissière en 1916 pour une tournée de confirmation dans le Tarn Sud. Mais, souffrant de violentes douleurs à l’oreille, au bout de 3 semaines, celui-ci part le 4 septembre consulter son frère  médecin militaire à l’hôpital de Carcassonne. Hélas, dans la nuit du 10 au 11 septembre, il décédait. Mgr Mignot vint le 14 septembre présider la messe d’obsèques à Saint-Amans Valtoret où il fut inhumé dans le chœur de l’église. A 56 ans, ce jeune épiscopat interrompu laissait Constantine-Hippone sans pasteur.

Mgr Bouissière pouvait-il imaginer la suite et rêver de la semaine des 1 au 7 avril 2001 où la République Algérienne indépendante organisa à Annaba –Hippone un premier colloque sur « Augustin, homme de dialogue » ? Un deuxième colloque universitaire suivit du 25 au 30 novembre 2016, sur les dimensions locales et universelles de St Augustin. Ainsi, avec l’université d’Etat on veut maintenant lutter contre l’ignorance mutuelle et aborder les questions en débat. L’élan multiséculaire en recherche de vérité et de Dieu depuis St Augustin relayé par Mgr Bouissière, continue aujourd’hui.

P. Claude Cugnasse

[Article paru dans « Le Tarn Libre » du 4 septembre 2020]

 

Blason « Quand on aime, on ne tient pas compte de sa fatigue »