P. Jacques Duraud à Taïwan: « Les racines du banyan »
« Je crois que je suis comme un banyan, et toi aussi ! »
À la suite du P. Jacques Duraud, castrais en mission à Taïwan depuis des décennies, découvrons cet arbre très étonnant et percevons plus vitalement nos ‘racines’.
« Le banyan ! C’est en Inde, à Calcutta, que j’ai remarqué cet arbre pour la première fois. Nous étions un groupe d’étudiants en route vers l’état de Madurai au sud-est du sous-continent. C’était en 1977 et c’était mon premier voyage en Asie. Autant dire que j’étais très excité par la rencontre avec un monde si différent de la vieille Europe.
Nous sommes allés « visiter » cet arbre, le « Banian de Howrah », dans un jardin botanique en bordure de la ville.
La personne qui nous y a conduits nous l’a présenté comme un « arbre cathédrale »
Il était impossible d’identifier le tronc principal frappé par un éclair en 1925.
Des racines aériennes avaient poussé de toutes les branches et donnaient l’impression de se trouver dans l’immense nef d’une cathédrale.
Cet arbre vénérable, vieux de 250 ans, couvrait la surface d’un hectare et demi.
Plus de deux mille racines aériennes formaient une forêt de colonnes et de piliers !
Dix ans plus tard je partais pour Taïwan où j’ai vu d’autres banyans, comme j’en ai vu dans d’autres pays d’Asie, toujours intrigué par le phénomène mystérieux de ces racines qui descendent des branches pour puiser leur sève à distance du tronc principal.
En 2010 nous avons célébré à Taïwan le 400ème anniversaire de la mort de Matteo Ricci, premier missionnaire jésuite arrivé à Pékin où il résida 9 ans.
A l’occasion d’un panel de discussions suite à la projection d’un documentaire, un étudiant me posa cette question :
« J’ai grandi une partie de ma vie en Suisse, je suis Chinois et me voici à Taïwan. Comment vivre cette double appartenance à des cultures si différentes ? »
Quand j’avais posé le pied sur l’île de Taïwan, mon interlocuteur n’était pas encore né.
Alors est revenue à mon esprit l’image de cet arbre qui pousse des racines depuis ses branches, loin du tronc.
Je lui ai répondu :
« Je crois que je suis comme un banyan, et toi aussi !
Mes racines et mon tronc principal se trouvent dans le sud de la France, mais voilà : ces vingt dernières années, une branche s’est étendue loin vers l’Est et des racines ont poussé dans le sol taïwanais !
Et pour toi, c’est certainement aussi la même chose entre la Suisse et Taïwan. »
Le 7 octobre prochain, j’aurai passé la moitié de ma vie à Taïwan où, quand je rentre de congé en France, j’ai aussi le sentiment de « rentrer à la maison » !
Il serait bien prétentieux de dire que je suis maintenant chinois ou taïwanais.
Identité ?
Je suis toujours porteur d’un passeport français.
Nous avons un document chrétien qui date de la fin du IIe siècle de notre ère : « L’épître à Diognète ».
Son auteur décrit la condition du chrétien dans l’empire romain qui embrassait une multitude de peuples, de cultures, de religions.
Dans ce creuset, quelle est la particularité des chrétiens ?
J’en cite deux passages :
« Les Chrétiens ne sont distingués du reste des hommes ni par leurs pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n’ont pas d’autres villes que les vôtres, d’autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes ;
[…] Ils habitent leurs cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. Pour eux, toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère. »
« Mes racines sont dans le Ciel », c’est le titre d’un beau livre de Pierre Ceyrac (1914-2012), missionnaire jésuite qui a passé 75 ans entre l’Inde (63 ans) et la Thaïlande (12 ans).
Invisibles, des racines avides poussent aussi de nos cœurs vers le ciel, entraînées par le passage de l’homme venu de Dieu parmi nous.
Comme le dit encore « L’épître à Diognète » :
« Dieu a envoyé ce fils comme étant Dieu lui-même ;
il l’a envoyé comme à de faibles mortels ;
il l’a envoyé en père qui veut les sauver, qui ne réclame que leur soumission, qui ne connaît pas la violence, la violence n’est pas en Dieu ;
il l’a envoyé comme un ami qui appelle et non comme un persécuteur ;
il l’a envoyé n’écoutant que l’amour, … »
Alors, qu’en est-il de mon identité, de notre identité ?
Chrétiens, notre identité de filles et de fils de Dieu ouvre sur l’univers et inscrit humblement dans l’humanité un témoignage qui n’est pas d’abord la revendication d’une différence. »
Jacques Duraud
Kaoshiung, 22 septembre 2021