De retour du Pérou, après 41 ans en Amérique latine
« Me voici de nouveau en France, de retour d’Amérique Latine, après 41 ans passés dans ce continent, exactement la moitié de ma vie »,
s’exclame Sœur Geneviève, Dominicaine de Sainte-Catherine de Sienne.
« Ces années ont laissé en moi des traces ineffaçables.
Partie avec le désir de répondre aux cris des pauvres, de revivifier ma vie religieuse en vivant au milieu d’eux (nous nous trouvions alors dans « l’après-concile Vatican II »), j’ai très vite expérimenté cette dimension de renouveau, comme une nouvelle sève qui venait irriguer mes terres assoiffées, me redonner une nouvelle jeunesse, un nouvel enthousiasme dans mon chemin de don total à Dieu et à mes frères.
Avec une autre sœur animée du même désir de vivre dans un coude à coude fraternel avec les pauvres, nous nous sommes lancées dans cette aventure, en nous insérant au Pérou, dans un diocèse au nord de Lima, sur la côte du Pacifique.
Les débuts ont été ‘étonnants’, nous réservant beaucoup de surprises, dans la vie partagée avec trois Péruviennes culturellement tellement différentes les unes des autres !
L’une, d’origine indienne avec toutes les couleurs que donne la vie enracinée dans les Andes ; une autre, « criolla », c’est-à-dire de la côte où s’est davantage vécu le mélange des races indiennes et espagnoles ; et la 3ème, une descendante de Chinois immigrés au 19ème siècle pour travailler dans les mines ou les cultures intensives de la côte.
Bonne école pour nous permettre d’entrer dans la richesse culturelle de ce pays aux mille facettes.
Cela n’a pas été sans nous provoquer souvent à de forts déplacements culturels, à des étonnements, à des heurts, mais aussi à des adaptations réciproques ou à des situations drolatiques qui déchaînaient nos rires.
Après avoir pris le temps d’écouter et de découvrir les besoins de cette localité péruvienne où nous avions atterri, nous avons pris une option décisive à développer sur deux réalités précises : insister sur la formation intégrale en particulier pour les femmes et pour les jeunes adultes (ceux dont le parcours catéchétique était terminé, ayant reçu la première communion et le sacrement de confirmation). Ces deux lignes se sont développées simultanément durant tout le temps de notre présence à Paramonga, petite localité au nord de la Province de Lima.
Nous habitions au milieu des pauvres, dans un bidonville, et participions à toutes leurs luttes pour conquérir les structures élémentaires d’une vie digne : l’électricité, le tout-à-l’égout, l’eau.
Nous nous sommes aussi appuyées sur des personnes déjà formées et professionnelles afin de vivre ce parcours en équipe.
Les femmes :
l’énorme pauvreté des familles qui se reflétait dans leur habitat, la mauvaise alimentation jointe au « machisme » (soumission au père, puis au mari ou à défaut au fils aîné), provoquaient la tuberculose.
Une fois qu’on leur a fait découvrir les raisons de cette maladie, elles ont compris que la première chose à améliorer était l’alimentation.
C’est ainsi qu’ont démarré les cantines familiales, de la dimension d’un pâté de maisons, où les femmes découvrirent l’avantage de cuisiner ensemble, ce qui leur permettait de faire des économies, en particulier sur le combustible, et d’avoir du temps libre pour se trouver un autre petit travail rémunéré puisqu’elles cuisinaient à tour de rôle.
Apparut en même temps la nécessité d’acquérir une formation élémentaire pour assumer les rôles de coordinatrice de cette petite cantine, de secrétaire ou de trésorière…
De là nous avions les portes ouvertes pour toute une formation humaine et chrétienne.
Les jeunes :
l’abandon et le manque d’intérêt dans lesquels ils se trouvaient de la part de l’Église et de l’État leur ouvraient la porte à la délinquance, à la drogue et à la violence.
Nous leur avons proposé des réunions où la musique traditionnelle indienne avec leurs instruments typiques eurent, au début, une large part.
A partir de là, s’ouvrait aussi tout un chemin de formation.
Grâce au groupe de soutien à notre mission qui s’était constitué en France, nous avons même pu offrir à quelques-uns des bourses pour des études universitaires et devenir ainsi des professionnels.
Ce que j’exprime ici n’est qu’un rapide aperçu de ce qui s’est construit à Paramonga à travers réussites et aussi parfois échecs.
Regardant en arrière, je ne peux que rendre grâce pour ce que j’ai vécu au Pérou, (sans tomber dans l’ingénuité de ne voir dans les pauvres que leur face idéalisée) : cette vie partagée avec eux, leur joie, leur sens de la fête envers et contre tout, et surtout, quand tout leur manque, une espérance sans faille, et leur façon de lire et de vivre l’Évangile.
Oui, c’est à partir de ce moment-là que la vie de Jésus, son Évangile, a pris chair en moi, y devenant le Jésus de Nazareth plein de compassion qui m’enseignait la route humble, respectueuse, aimante et joyeuse au milieu de ce peuple tellement oublié et exploité.
Je ne peux que rendre grâce au Seigneur pour ce don magnifique dont Il m’a comblée. »