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D’Anglès et de La Drèche au Brésil, Mgr Pierre Galibert (1877–1965)

Le P. Claude Cugnasse évoque le parcours de Mgr Pierre-Louis-Marie Galibert qui fut missionnaire et évêque au Mato-Grosso.

Noël 1877, à l’église de Bouisset, proche d’Anglès, Joseph GALIBERT a-t-il chanté « Minuit chrétien » ? Avec quel souffle a-t-il lancé les neumes du « Puer Natus est » de cette fête ? Qu’avait-il dans son cœur, ce Joseph qui, sa vie durant, tint le lutrin de cette modeste église de campagne ? En latin il célébrait l’Enfant Dieu, pouvait-il oublier l’enfant attendu par son épouse dans les tout prochains jours ?

Il va naître le 31 décembre, ce Pierre Galibert, futur missionnaire du Mato-Grosso. Dans ces temps de forte mortalité infantile, il fallait veiller sur les nouveau-nés. Le petit Pierre fut confié en nourrice à une dame du Rialet. Autour de lui, une famille profondément chrétienne. Il était apparenté à l’autre Mgr Galibert, missionnaire en Cochinchine.

Pour ces familles, Dieu était premier servi. Le futur évêque dira de l’une de ses tantes : « C’était une âme remplie de foi. Sa seule présence était une prédication et sa conversation absolument édifiante ».

Pierre tombale dans le sanctuaire de Notre-Dame de La Drèche

Le Père Galinier, un religieux du Tiers Ordre Régulier de Saint François (La Drèche),  vient animer la première communion à Bouisset. Il remarque le jeune Pierre et il propose de l’orienter, à 10 ans, vers l’école d’Ambialet et le Tiers Ordre, s’il le choisit. Des années d’étude et de prière vont suivre : baccalauréat en 1895, licence ès lettres à la faculté d’Angers.

Dans le Musée de La Drèche : Religieux missionnaire du Tiers-Ordre avec chapelet et statuette de Notre Dame d’Aparecida, patronne du Brésil

En 1902, le 24 juin, Pierre reçoit l’ordination sacerdotale.

« O Jésus, en m’appelant à être votre prêtre et pasteur d’âmes, vous avez bien voulu me faire participer de plus près à votre mission rédemptrice.»

C’était l’époque de la dispersion des religieux suite aux lois de séparation de l’Église et de l’État. Les missions à l’extérieur permettaient aux religieux français de s’éloigner des lois qui entravaient leur mission dans l’hexagone. Dès le 28 octobre 1904, 9 prêtres, frères et étudiants français partaient pour le Brésil avec un long voyage de 70 jours, en bateau pris en « plancha » (sorte de péniche fluviale) depuis Montevideo, au sud de l’Uruguay, jusqu’à Cuiaba.

Ils arrivent au Mato-Grosso où Pierre Galibert les rejoindra vers le 4 août 1905.

Nature et contexte social hostiles

Le Mato-Grosso, la grande brousse, est d’abord un immense territoire.

L’état du Mato-Grosso compte actuellement 903 358 km2, soit une fois et demi la France.  Avec, à l’époque, un habitat dispersé, employé dans l’agriculture, mais aussi dans le difficile travail des « seringueiros », collecteurs de latex pour l’industrie du caoutchouc. La situation sociale paraît souvent plus que difficile.

Suivent des insurrections (1906), des violences diverses, souvent contre les communautés chrétiennes. On se rend mal compte aujourd’hui de ce qui suscite la malveillance de «francs-maçons».

Ajoutons des dangers dans la nature avec des serpents comme le jararacussu, des sangliers, des onces, des moustiques. Le Père Galibert est affronté à une nature et un contexte social souvent hostiles.

La présence de l’Église précède l’arrivée des missionnaires franciscains, mais quelles communautés vont-ils rencontrer ? Parfois des prêtres du pays ont laissé une mauvaise réputation et une initiation chrétienne plus que superficielle, souvent superstitieuse. Quand on annonce des confessions, les hommes s’enfuient dans la forêt… Que signifient des fêtes de Saint Benoît le Noir, qui tiennent du carnaval !

Voici une note écrite par Pierre Galibert :

« Pauvre peuple, dont le sentiment religieux est entièrement dévié ; ce n’est plus de  la foi, c’est de la superstition. Le Saint Sacrement n’est rien pour lui, la petite statue de saint Benoît est tout. En suivant cette procession si bizarre, j’éprouvais une grande tristesse et comme une envie de pleurer sur cette ignorance si profonde.

Mais en sont-ils seuls coupables ? Il n’y a eu personne pour leur enseigner la religion.

Ce qui nous étonne tous ici, c’est qu’ils ne soient pas encore bien pires, après tout ce qu’ils ont vu et les exemples qu’on leur a donnés. Puissions-nous leur ouvrir les yeux et leur faire connaître enfin la religion dans toute sa pureté ».

Les bases de l’Église sont établies

Le territoire est immense : 2 000 km du Nord au Sud, à parcourir à cheval, sans route ni piste bien sûr. Ne pas baisser les bras, annoncer l’Évangile de hameau en village.

Des lettres, des témoignages relatent incidents, épuisements, épidémies, tentatives de contacts avec des groupes d’Indiens perdus dans la forêt et parfois hostiles. Tout cela correspond assez  à l’expérience de l’apôtre Paul quand il tente un bilan de sa vie apostolique (2 Co 6,3-10) : détresses, fatigues, émeutes, mépris « avec le souci de toutes les Églises » (2 Co 11,8). Cependant des résultats vont peu à peu apparaître.

Mgr Pierre-Louis-Marie Galibert

L’apôtre Paul était de passage en fondateur d’Églises, Mgr Galibert aura pour lui la durée, il va rester 50 ans au Mato-Grosso. Avec le concours des Frères Franciscains, des Sœurs de l’Immaculée Conception (Sœurs Bleues de Castres). À partir de 1911 le diocèse de Cuiaba est divisé : Corumba, Caceres, dont il sera l’évêque à partir du 15 août 1915, la prélature de Guajara Mirim en 1929.

Quelques chiffres sont stupéfiants : « En 1907 à Cuiaba, à moi seul j’ai entendu 872 confessions, puis en 1911, 2178… ». On baptise les enfants par groupes de 20 ou 25…

Mgr Galibert a dépassé les 75 ans. En 1954 il donne sa démission après une chute. Il sera remplacé à la tête du diocèse de Caceres, par Mgr Maxime Biennes, originaire d’Albi.

En 50 ans, avec ses frères en Saint François, il a éveillé la foi dans cet immense territoire. Les bases de l’Église sont établies.

En juin 1955, il arrive à la Drèche pour 10 ans de retraite. Il sentira peu à peu ses forces et sa lucidité diminuer. On admire sa vie de prière, le souci de susciter une communauté fraternelle du Tiers Ordre, des frères qui le lui ont bien rendu quand il est devenu dépendant…

Le 24 décembre 1965 autour de midi, c’est la fin. Le lundi 27, l’archevêque d’Albi, Mgr Dupuy, préside les obsèques. Le 16 septembre 1966, son corps sera transféré dans l’église Notre-Dame de la Drêche.

Écoutons encore sa voix dans l’acte d’offrande de sa vie qu’il avait rédigé dès février 1935 :

« Malgré le sentiment profond de mon indignité, de tout cœur avec joie je réponds à votre trop miséricordieuse invitation. Aujourd’hui donc et pour toute ma vie, je m’offre à vous comme petite victime.

Pour consoler votre Cœur en quelque manière, pour obtenir la conversion des pauvres pécheurs et la multiplication des âmes ferventes et généreuses, je m’abandonne sans réserve à votre sainte volonté.

Disposez de moi, comme il vous plaira. Mon corps et mon âme, mon esprit, mon cœur, ma volonté, mes œuvres, mes pauvres mérites, ma vie et ma mort : tout est à vous.

Je ne vous demande qu’une chose, par l’intercession de votre sainte Mère : vous connaissez ma faiblesse et mon inconstance, fortifiez-moi, faites-moi la grâce de vous être fidèle en toutes choses jusqu’à la mort ».

Un dossier pour une éventuelle béatification a été déposé par la Congrégation et le diocèse d’Albi.

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[Article publié dans « Le Tarn Libre » du 28 août 2020 ]