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Homélie de la messe d’action de grâce pour la canonisation de Charles de Foucauld

Frères et sœurs,

Les textes que l’Église nous propose pour la fête de Charles de Foucauld sont ceux que nous venons d’entendre. Le passage – de la première lecture – tiré du livre de la Sagesse, nous montre en quelque sorte la pédagogie de Dieu vis-à-vis de tout être humain. Notre Dieu est plein de compassion, de pitié pour les pauvres êtres humains que nous sommes et qui, souvent, nous cognons à droite et à gauche, faisons trois pas en avant et cinq en arrière. Cependant le Seigneur permet qu’à travers les évènements de nos vies, sa miséricorde se manifeste. C’est ce qui s’est passé pour Charles de Foucauld.

Vous connaissez sans doute sa vie, vous savez qu’il a eu une enfance très difficile, orphelin à six ans, élevé par un grand-père merveilleux mais beaucoup plus âgé que lui, une adolescence tumultueuse où il a rejeté totalement l’existence de Dieu. Finalement, il devient militaire. Dans sa famille c’était une carrière assez habituelle et le moyen d’obtenir une réussite sociale. On était au lendemain de la guerre de 1870. Il est né à Strasbourg, mais il a quitté l’Alsace pour vivre chez son grand-père installé à Nancy. Il faut se rendre compte de ce qu’était la mentalité de cette période où la revanche était la grande affaire, surtout quand on vivait dans l’est de la France ; du Sud-Ouest, l’Allemagne est loin !… Il fait Saint-Cyr, cette école militaire réputée. Puis il mène une vie scandaleuse et doit quitter l’armée. Il va chercher sa voie pendant quelques années. Il entreprend toute une tournée au Maroc où il fait des relevés cartographiques et géographiques. Il s’intéresse à tout, c’est un homme curieux et doué. Le résultat de son voyage sera primé. Mais il demeure encore perdu, il ne sait pas quoi faire de sa vie. Il a rejeté Dieu ; la vie de prière des musulmans l’a pourtant frappé. Il vit quelques temps à Paris auprès d’une de ses cousines, qui était une femme intelligente et très religieuse. Le voyant très dépourvu, incapable de faire un choix, ne sachant pas où aller, elle lui suggère d’aller rencontrer un prêtre. Or, à l’époque, sa prière était : « Seigneur ! Si vous existez, faites-vous connaître à moi ». Cela ne s’appelle pas tout à fait la foi ! Finalement, il va rencontrer le prêtre ami et directeur spirituel de sa cousine, à la paroisse Saint-Augustin à Paris. Alors qu’il exprime ce qu’est sa prière, le prêtre lui dit aussitôt : « Confessez-vous ». Réponse inattendue ! Charles de Foucauld s’est mis à genoux – ce qui est extraordinaire – et il s’est confessé.

Ceci est pour moi un signe magnifique de ce qu’est le sacrement de la réconciliation et de la pénitence, si souvent boudé aujourd’hui, alors que, véritablement, comme les Pères de l’Église le désignent si bien en le nommant : « un baptême dans les larmes ». Nous sommes passés par les eaux le jour de notre baptême et la vie divine nous a été donnée. Cette vie divine est une source intarissable jaillissant au cœur de notre cœur. Malheureusement, au cours de la vie, la trahison et le péché ont fait que cette vie divine, cette source se remplit de pierres et l’eau ne peut plus jaillir. L’Esprit Saint ne peut plus irriguer notre être. Par le pardon des péchés, à chaque absolution, nous sommes rétablis dans l’état initial du baptême. Ce qui obstruait la source est évacué.

L’extraordinaire dans la vie de Charles de Foucauld est qu’à partir de cette confession, il a sans cesse progressé sur un chemin de sainteté. C’est la vocation de tout baptisé. À partir de là, véritablement, il a recherché la volonté de Dieu, la volonté du Père. Il n’a cessé de la chercher en tâtonnant ; comme chacun d’entre nous, qui sommes en quête de Dieu jusqu’au jour de notre entrée dans la vie éternelle. Il a perçu un appel très fort à se donner immédiatement et totalement à Dieu. Il est entré à la Trappe en France, puis il a été envoyé en Syrie dans des conditions extrêmement ascétiques. Au XIXe siècle, la vie des Trappistes était d’une austérité terrible. Pour le grand bourgeois qu’il était, cette perte de tout confort représentait un changement considérable. Il a vécu en Syrie dans une très grande pauvreté, trouvant que ce n’était pas assez. Il a quitté cette Trappe de Syrie pour mener une vie plus pauvre, soucieux de prendre la dernière place.

Je ne vais pas vous raconter toute sa vie bien que ce soit passionnant. Finalement, il est devenu prêtre pour l’Algérie. Il n’a pas été envoyé dans une ville d’Algérie, mais au fin fond du désert, à tel point que tout au long d’une première période il ne pouvait même pas célébrer l’eucharistie parce qu’il n’y avait pas de fidèle et qu’il n’était pas permis de célébrer sans assemblée. Il a vécu dans des conditions de solitude incroyable, vivant dans la prière et l’adoration en permanence. Progressivement, il est devenu le frère universel. Il a découvert que Dieu l’appelait tout autant à une immense intimité avec lui, qu’à une fraternité avec tous ceux qui étaient autour de lui. Cela lui a d’ailleurs valu sa propre vie. S’il a été assassiné, c’est parce que tout le monde passait chez lui. Aussi bien les Touaregs avec qui il a entretenu une proximité extraordinaire au point de rédiger le seul dictionnaire de Touareg qui existe à ce jour. Il les écoutait, les faisait parler, recueillait toutes leurs traditions. Il était extrêmement aimé de ces hommes. Il recevait aussi les militaires français qui passaient par là. Pour les populations qui le connaissaient, elles savaient qui il était, à savoir leur frère très aimé. Mais pour les membres de bandes qui passaient par là et qui entendaient dire que des officiers français étaient passés chez lui, il était considéré comme un ennemi. Il a été purement et simplement assassiné, probablement pas au nom de sa foi. C’est sans doute pour cette raison pour cela qu’il n’a pas été canonisé en tant que martyr. Il est mort victime de cette fraternité qu’il était capable d’entretenir avec tous, sans exception et sans condition. Dès sa mort en 1916, au milieu de la première guerre mondiale, en cette période très difficile, sa fraternité universelle a frappé tous ceux qui ont découvert l’existence de cet ermite du Sahara grâce à la biographie écrite par René Bazin, publiée en 1921.

Dans les années qui ont suivi, en 1933, le Père René Voillaume et quatre jeunes prêtres qui s’étaient connus au séminaire de Paris, sont partis au fin fond du Sahara après avoir étudié la vie de Charles de Foucauld. Ils ont voulu aller dans les lieux où avait vécu le saint et vivre sa vie. Charles de Foucauld avait écrit une règle, absolument impossible à vivre déjà à l’époque, tellement elle était exigeante. De son vivant, plusieurs avaient essayé de le rejoindre mais aucun n’est resté, tant sa vie était rigoureuse et n’était supportable que par lui seul. Ces premiers Petits Frères de Jésus ont adapté la règle en gardant l’esprit, jusqu’au jour où, comme Foucauld, ils ont décidé de partager la vie des plus pauvres. Ils ont quitté le désert pour travailler « au cœur des masses ». Après un noviciat dans un lieu désertique, ils partagent la vie des plus pauvres. Ces Petits Frères ne sont pas présents dans le diocèse, mais dispersés dans le monde entier, bien que peu nombreux. La famille spirituelle Foucauld est très importante, il y a au moins une dizaine de fondations religieuses qui se réclament de Charles de Foucauld. Il existe aussi une multitude de laïcs et de prêtres qui vivent de l’esprit de Charles de Foucauld. Le rayonnement du petit frère Charles de Jésus est universel.

Nous avons entendu un passage de l’évangile selon saint Jean, qui est retenu pour cette fête de Charles de Foucauld : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous aimés, demeurez dans mon amour …/… Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». L’idéal de Charles de Foucauld a été de prendre la dernière place, pour être justement le frère de tous. Il a voulu vraiment aimer comme le Christ, qui a pris la place de l’esclave, comme nous le chantons aux Vêpres du samedi. Le Christ s’est vidé de sa condition divine pour épouser la condition humaine dans ce qu’elle a de plus pauvre. Charles de Foucauld voulait aller encore plus bas. Il a vraiment livré sa vie et à Dieu et aux prochains. Il a voulu être l’ami du Seigneur en faisant sa volonté. Vous connaissez tous la prière : « Père je m’abandonne à toi… » qui est une remise complète de sa personne entre les mains du Père, avec une foi magnifique. Il y a au moins deux choses pour lesquelles Charles de Foucauld est un modèle hors du commun : la foi et la fraternité. Croire en la Parole de Dieu dans sa totalité, véritablement. Il a voulu y adhérer et faire la volonté de Dieu en recevant le contenu de la Révélation, en la scrutant avec attention et amour. Il a voulu aussi développer la fraternité.

Aujourd’hui, en cette période où une guerre ressurgit en Europe, une « guerre fraternelle », la fraternité est une nécessité et une priorité, la fraternité avec tous et avec les plus différents de nos sociétés. Si non n’entretenons pas une vraie fraternité avec les musulmans aujourd’hui, où allons-nous ? Voulons-nous la guerre avec les musulmans ou voulons-nous les reconnaître, comme Charles de Foucauld, comme des frères ? C’est la seule solution pour envisager une société où chacun se reconnaît pour ce qu’il est et dans le respect de chacun. C’est possible. Je me permets de vous signaler que le Pape François, il y a deux ans a signé à Dubaï avec le recteur de l’université d’Al-Azhar du Caire, un texte sur la fraternité. Tous les deux prônent une culture du dialogue favorisant le respect de la vie de chacun, une culture de la liberté d’être différents, qui peut aller jusqu’à tolérer le changement de religion. Nous avons tous des progrès à faire. Je pense que non seulement Charles de Foucauld est un modèle, mais nous pouvons aussi lui demander son intercession pour que, dans la société qui est la nôtre, nous entretenions réellement des relations fraternelles. Cela pourrait commencer à se développer, bien davantage que cela existe dans nos propres communautés paroissiales, dans nos mouvements. Charles de Foucauld peut nous obtenir la grâce de la fraternité.

Amen

† Jean Legrez, o.p.
Archevêque d’Albi

En la cathédrale Sainte-Cécile, Albi – lundi 16 mai 2022

1ère lecture : Sg 11, 23 – 12, 2
Psaume : 39, 2-4b, 7-8a, 8b-9 et 10
Évangile : Jn 15, 9-17