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Les Archives des muses (3) : archevêque et poète

En ces temps de confinement où nous sommes invités à rester à la maison pour se protéger et protéger nos proches et nos amis, nous avons choisi de vous faire découvrir ou redécouvrir quelques auteurs et autrices d’inspiration chrétienne dont les Archives diocésaines d’Albi gardent trace. À travers les volets de ces « archives des muses » ce sont quelques moments d’évasion littéraire qui sont proposés, et de possibles lectures pour l’avenir.

Le troisième et dernier volet des « archives des muses » est consacré à un archevêque d’Albi : Mgr Pierre-Célestin Cézerac.

Pierre-Célestin Cézerac : une jeunesse sous le signe du Félibrige gersois

Pierre-Célestin Cézerac est né le 1er mai 1856 à Caussens dans le Gers. Il est issu d’une modeste famille paysanne et reste sa vie durant attaché au monde rural. Après avoir étudié au séminaire d’Auch il est ordonné prêtre le 18 décembre 1880. En 1892 il est archiprêtre de Lectoure avant d’être nommé vicaire général d’Auch en 1900. De 1902 à 1911 il exerce la présidence de la Société historique de Gascogne. Le 27 novembre 1911 il accède au siège épiscopal de Cahors. Il est nommé archevêque coadjuteur d’Albi le 2 janvier 1918 et devient l’archevêque du diocèse à la mort de Mgr Eudoxe-Irénée Mignot le 18 mars suivant. Pierre-Célestin demeure archevêque d’Albi jusqu’à sa mort le 30 janvier 1940.

Pierre-Célestin Cézerac, Le Pèlerin, décembre 1911

En 1903, alors vicaire général d’Auch, il publie avec des confrères et amis Ahéus e flous ( soit Fougères et fleurs d’après la Revue de Gascogne de 1909), recueil de 22 chansons et poèmes gascons dédiés à Adrien Planté, président de l’École Gaston Fébus, association littéraire affiliée au Félibrige fondée en 1896 par un groupe d’écrivains béarnais et bigourdans dans le but de promouvoir la langue et culture littéraire d’oc. Le volume fait la part belle aux parlers de Cazaubon, Florence-sur-Gers et Condom ; trois variétés de gascon. L’abbé Cézerac s’associe alors à Max Laclavère, Fernand Sarran et Paul Tallez. Maximilien Laclavère est prêtre du diocèse d’Auch et écrivain de langue gasconne. Fernand Sarran dit « la cigale de la Douze » est prêtre enseignant du diocèse d’Auch, folkloriste, poète lyrique et critique de langue d’oc. Quant à Paul Tallez il est prêtre et professeur au séminaire d’Auch et écrivain gascon. L’ouvrage n’est pas imprimé sans une note d’humour. Portant l’avertissement Emprimat dambe la permissioun que cau (soit Imprimé avec la permission qu’il faut), les quatre ecclésiastiques ironisent quelque peu sur l’imprimatur épiscopal (soit l’autorisation officielle de publier donnée par l’ordinaire du lieu) généralement davantage formel.

Ahéus e flous fait l’objet d’une recension en 1904 dans les Annales du Midi, revue d’histoire, d’archéologie et de philologie méridionale fondée en 1889. Auteur d’une thèse consacrée à l’origine de la poésie lyrique en France, spécialiste des études latines, linguiste et philologue romaniste, maître de conférences à la Faculté de Lettres de Toulouse où il se consacre à l’enseignement de la langue et de la littérature occitanes, enseignant à la Sorbonne où il préside la section des Langues et Littérature de l’Europe du Sud, directeur des études de littérature médiévale à l’École Pratique des Hautes Études, éminent spécialiste de la poésie des troubadours et auteur de plus de 600 communications Alfred Jeanroy y précise alors : « Il nous sera bien permis de dire le charme de ces poésies, fait de grâce et de robustesse rustiques ; nous signalerons particulièrement les imitations de chansons de métiers et de complaintes populaires, on y trouvera une quantité de ces bons vieux mots en train de disparaître et qu’on a enchâssés ici pour les sauver de l’oubli. »

Première de couverture et page de garde du recueil

Sur l’opuscule, la Revue de Gascogne (bulletin mensuel d’histoire et d’archéologie de la province ecclésiastique d’Auch) précise que les auteurs se souviennent de l’époque où tous « en Armagnac, laboureurs, pâtres, moissonneurs, vendangeurs, fileuses et couturières chantaient à qui mieux mieux ». Quant à la revue La Tradition (revue parisienne des contes, légendes, chants, usages, traditions et arts populaires), elle y voit une juste « glorification de la terre et de la langue ancestrales ». Enfin la revue L’Action régionaliste (organe de la Fédération régionaliste française) célèbre elle le zèle félibréen des auteurs et salue « par l’exemple de ces belles félibrées tenues en pays béarnais la vitalité puissante de cette Escolo ». Les quatre auteurs se font remarqués par un certain purisme attaché à la restitution des vieux mots gascons si bien que la Revue de Gascogne note que « la majorité de leurs compatriotes n’en comprit pas même le titre ! »

Armes de Mgr Cézerac

Sur l’intervention même de Pierre-Célestin Cézerac, la Revue de Gascogne s’exprime ainsi : « M. Cézerac excelle à mettre en vers, presque en musique, les aspects divers de la nature et de la vie des champs. Il fait des efforts souvent couronnés de succès pour exprimer, lui historien lettré, l’âme rustique. Des pièces également remarquables, comme La pregario dou boè, sont d’un ami du vieux langage et surtout d’un lettré. Leur forme rappelle Lamartine. » L’abbé Cézerac propose également les pièces suivantes : La perigglèro (soit L’orage), La crouts de la justico (soit La croix de la justice) ou encore Lou darrè moulie de Bouhobent (soit Le dernier meunier de Bouhobent). Ami de la langue d’oc, Pierre-Célestin Cézerac le reste lorsqu’archevêque d’Albi il rappelle en 1919 dans sa Lettre aux prêtres sur le chant sacré les sonorités de « la belle langue populaire, douce et musicale ». Mais pour conclure le dernier volet de ces « archives des muses » nous nous quittons sur quelques vers gascons (parler d’Armagnac) de l’abbé Cézerac issus justement de sa Pregario dou boè (soit La prière du vacher) :

Lou jour es acabat. Coum uo molo roujo
Lou sourelh debarat toucauo lous coustous,
Lou boè plen de calou, negre coumo la soujo,
S’apuauo sou cot de sous buus amistous ;

E mountauon tout tres, lous compagnous de peno
L’aret pausat sou jugn, pou camin peirusquet.
Éron plan auejats ! mès aro la sereno
Que bouhauo dou bos un pau d’aire fresquet.

La cansoun d’un baquè de pou houns de la plano
Passauo douçomen, como bolo un auzèt.
Entenèuon taben, sous pastens de l’abrano,
Dous agnèts estarits beleja lou troupèt.

Traduction interprétée en rimes :

La journée est finie. Telle une meule rougie
Le soleil couchant effleure les coteaux,
Le bouvier échaudé, noir comme la suie,
S’appuie contre ses chers bœufs amicaux ;

Et tous trois ils montent, les compagnons de peine
La charrue posée sur le joug, par le chemin heurté.
Ils étaient bien fatigués ! mais maintenant la sirène
Souffle du bosquet un peu d’air frisquet.

La chanson d’un vacher du fond de la plaine
Passe aussi doucement que vole un oiseau.
Ils entendent aussi, dans les bruyères du domaine,
Deux agneaux assoiffés bêlant le troupeau.

Les textes de Mgr Pierre-Célestin Cézerac sont à retrouver aux Archives diocésaines d’Albi.

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