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Les Archives des muses (1) : prêtre et poète

En ces temps de confinement où nous sommes invités à rester à la maison pour se protéger et protéger nos proches et nos amis, nous avons choisi de vous faire découvrir ou redécouvrir quelques auteurs et autrices d’inspiration chrétienne dont les Archives diocésaines d’Albi gardent trace. À travers les volets de ces « archives des muses » ce sont quelques moments d’évasion littéraire qui sont proposés, et de possibles lectures pour l’avenir.

L’abbé Louis Vigné : de l’Académie des Jeux floraux à l’Académie française

Le premier volet est consacré à un prêtre du diocèse : l’abbé Louis Vigné. Louis est né à Gaillac le 19 juin 1846. Après avoir étudié au séminaire de Castres, il passe les premières années de son sacerdoce dans les vicariats de Cahuzac-sur-Vère et de Saint-Pierre de Gaillac. Puis il occupe, comme curé, les paroisses de Boissel à partir de 1878 et de Técou. Il excelle dans la direction et la formation des enfants. Six de ses élèves entrent au séminaire et sont ordonnés prêtres.

Curé mais aussi poète aimé de ses paroissiens, l’abbé Louis Vigné n’hésite pas à régulièrement « provoquer sa muse » nous apprend la Semaine religieuse d’Albi, précisant du reste : « Sa vie est faite de charité, d’humilité, de dévouement. Il a consolé les misères humaines, relevé les courages abattus, fortifié les espoirs chancelants. Il a beaucoup prié, beaucoup aimé Dieu. En retour Dieu l’a comblé de dons précieux : M. l’abbé Louis Vigné est poète. »

« Sa poésie est fraîche, délicate, précise. Point de formules déclamatoires ni de mots pompeux. Une tendresse et une sensibilité exquises rehaussent les œuvres de ce cher poète. » Le Recueil de l’Académie des Jeux floraux de Toulouse – société littéraire fondée en 1694 récompensant les auteurs des meilleures poésies françaises et occitanes et prenant la succession du Consistori del Gay saber fondé en 1323 – parle en 1868 d’un « auteur simple et vrai qui ne force ni sa voix ni son talent » au moment même où Louis envoie à l’Académie Le nuage, poème d’une « inspiration douce et vaporeuse ». Dans cette œuvre il côtoie presque le spleen et « sous ce nuage les doutes, les ombres, la mélancolie nous envahissent ; les demi-teintes nous gagnent, le temps fuit, le météore se transforme, orage ou vapeur, nuée ou brouillard, tout contribue à diminuer l’éclat du jour et à nous jeter dans une fugitive hallucination. »

L’hôtel d’Assézat à Toulouse abritant l’Académie des Jeux floraux

En 1876 le Recueil de l’Académie publie par ailleurs son Magnificat, hymne à la Vierge de surcroît couronné par le concours toulousain. L’année suivante Louis remporte une médaille d’argent à l’Académie de Béziers pour sa pièce Les Fleurs d’hiver.

Elle est là, souriant au vent froid qui l’assiège,
Entrouvrant son calice éclatant de blancheur,
Salut, fleur des hivers, salut, ô perce-neige,
Ta vue a réjoui mon regard et mon cœur.

Ô perce-neige, ô fleur que l’hiver fait éclore,
Du radieux printemps blanche apparition,
Je reviendrai demain te contempler encore,
De la saison des fleurs charmante vision !

Titre de la page de couverture du volume de 1885

Louis continue de soumettre son œuvre aux compétitions littéraires tout en multipliant les publications de diverses pièces dans les revues méridionales. Aussi en 1885 c’est la Revue du Tarn fondée dix ans plus tôt qui fait paraître dans son jeune cinquième volume sa poésie Le ver luisant, également couronnée par l’Académie des Jeux floraux, plus ancienne société littéraire connue du monde occidental. Dans ce poème qu’il introduit par la citation Sunt lacrymæ rerum (il y a des larmes dans toutes choses) Louis pleurant la perte du ver luisant en profite pour chanter sa beauté.

Ô merveille, pourtant ! l’étoile au front superbe,
Brille, ignorant où vont ses rayons lumineux,
Toi, tu n’éclairais rien que quelques touffes d’herbes,
Mais tu savais jusqu’où resplendissaient tes feux.

En 1896 Louis continue de « réveiller sa muse » dans la Semaine religieuse d’Albi. Alors curé de Técou il publie Une procession qu’il introduit par la phrase Viæ Sion lugent (Désolés étaient les chemins) empruntée au moine chartreux Hugues de Balma. En 1909 il rédige un Salut à Jeanne d’Arc qui est mis en musique comme chant populaire en solo et chœur à deux voix par un autre abbé Viguier, ancien aumônier de l’hospice de Mazamet. « Entré dans tous les presbytères du diocèse » le Salut est rapidement allongé à la demande du clergé diocésain de quatre nouvelles strophes et devient la Cantate à Jeanne d’Arc, « chantée dans bien des paroisses ». En 1912 son Ave Maria au ciel obtient un lys au concours des Jeux floraux (fleur qui récompense depuis 1739 les hymnes à la Vierge) tandis que son poème L’ascension est récompensé d’une médaille d’argent au concours littéraire de la Société archéologique de Béziers. L’année suivante la Semaine religieuse d’Albi publie sa poésie Les pèlerins de la Drèche.

Nous cheminons, la route était poudreuse et blanche,
Vers la Drèche, ma mère et moi.
Nous portions un habit tout neuf : on s’endimanche,
Ô Vierge, pour aller chez toi.
Ma mère, pour tromper la longueur de la route,
Et pour encourager mes pas,
Me contait des récits merveilleux que, sans doute,
Bien des savants ne savent pas.
Mains jointes, je te dis bien bas : puisque le prêtre
Peut seul monter à ton autel,
Vierge sainte, je veux l’être un jour, je veux l’être
Puisque les prêtres vont au ciel !
Bientôt quinze ans après, les ans s’écoulent vite,
Nous revînmes, ma mère et moi,
Nous revînmes, depuis deux jours j’étais lévite,
Remercier ton Fils et toi.

Notre-Dame de la Drèche, un jour de pèlerinage

Louis publie en 1914 aux presses de l’Orphelinat Saint-Jean un recueil intitulé Chants d’espérance dont le chanoine et historien albigeois Louis de Lacger dit dans la revue diocésaine d’histoire Albia Christiana : « Toutes ces choses sont racontées en une langue dont la suprême élégance est la simplicité, flexible comme l’osier, et pour laquelle les difficultés de rime et de cadence sont un jeu ; que l’on en juge un peu par ces petits vers octosyllabiques où le poète excelle et qu’il affectionne : on dirait le trot léger et aérien d’une troupe de gazelles. »

Mgr Eudoxe-Irénée Mignot, archevêque d’Albi de 1899 à 1918, honore cette publication littéraire dans une lettre flatteuse adressée à celui dont « le cœur a toujours vingt ans passé la soixantaine » : « On sent, en vous lisant, que vous avez respiré le parfum des champs, que vous avez été en contact avec les pauvres, les humbles, avec ceux qui souffrent, on voit que vous avez causé avec les hirondelles, les alouettes, les vers luisants, et même avec le nuage qui vous a répondu comme il le devait. Mais en idéalisant la terre, ce miroir du ciel, vous n’oubliez pas la patrie véritable qui nous donne la nostalgie du ciel. »

La coupole de l’Institut de France à Paris où siège l’Académie française

En 1917 l’Académie française écrit à Louis : « Le secrétaire perpétuel est heureux d’annoncer à M. l’abbé Louis Vigné que l’Académie française lui a décerné un prix de la valeur de 1000 francs sur la fondation François Coppée. » L’heureux lauréat du prix du poète parnassien du même nom annonce alors la nouvelle au directeur de publication de la Semaine religieuse de l’archidiocèse d’Albi : « Vous saluâtes, en termes très bienveillants et très distingués, mon petit volume de vers à son apparition, il y a trois ans, et je vous en suis très reconnaissant. Ayant appris hier que l’Académie française avait décerné à mes Chants d’espérance un de ses prix, le prix François Coppée, il m’a paru qu’il était de mon devoir de me hâter de vous annoncer cette bonne nouvelle. »

Site internet de l’Académie française

Auréolé de multiples fleurs et de nombreux prix à l’Académie des Jeux floraux de Toulouse et aux concours de Cette, de Béziers et de Montauban, Louis avait également remporté en 1881 une violette réservée au concours des Jeux floraux (fleur d’argent qui couronne depuis 1324 les poèmes, épîtres et discours en vers) pour son poème élégiaque Un nid d’hirondelles dont voici quelques strophes pour conclure ce premier aparté lyrique :

Aux premiers souffles de la brise,
En avril, quand l’hiver finit,
Sous le porche de mon église,
Elles avaient bâti leur nid.

Elles restaient, laborieuses,
Jusqu’à la nuit à leur chantier,
À contempler ces travailleuses,
J’aurais passé le jour entier.

Gaie et prompte était leur manœuvre,
À travers les champs de l’azur,
Elles avaient fait un chef-d’œuvre,
Rien qu’avec du limon impur.

Et, trouvant leur maison superbe,
Elles chantèrent tout un jour,
Et puis l’emplirent de brins d’herbe,
De joyeux cris, d’œufs et d’amour.

Allez sur la plage lointaine,
Dans le désert inhabité,
Allez sur la terre africaine,
Le désert c’est la liberté.

Votre départ me rend morose,
Mais j’espère dans l’avenir,
Partez, n’emportez autre chose,
Que vos ailes pour revenir.

Les textes de l’abbé Louis Vigné sont à retrouver aux Archives diocésaines d’Albi.

À la semaine prochaine pour le second volet des « archives des muses ».

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