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Psaume 18 : « Les cieux chantent la gloire de Dieu… »

« Les cieux chantent la gloire de Dieu » C’est ainsi que commence le Psaume 18(19) dans le Psautier d’En Calcat.

Belle traduction, il est vrai, mais infidèle, car le texte hébreu dit littéralement: « Les cieux racontent la gloire de Dieu ». Il en va de même si l’on traduit la version grecque de la Septante ou la version latine de la Vulgate1. Quant à la version du Psautier Liturgique Œcuménique, on y lit plus conformément au texte original : « Les cieux proclament la gloire de Dieu. »

Mon intention ici n’est pas de tirer à boulets rouges sur la version des Psaumes chantée dans ma communauté ni d’en faire un éloge inconsidéré. Ce verset, dans cette version quelque peu erronée, m’a simplement interrogé sur deux points.

Le premier est le rapport qu’il y a entre la musique et l’astronomie. En effet, dire que les cieux chantent la gloire de Dieu, est-ce crédible à une époque où l’homme est capable de marcher sur la Lune, d’envoyer des robots sur Mars et des sondes au-delà du Système solaire ?

Le deuxième point porte sur cette « erreur » de traduction. Le texte biblique dit bel et bien que les cieux racontent la gloire de Dieu. Mais « chanter » ne peut-il pas être synonyme de raconter, narrer ou proclamer ? Autrement dit, l’intérêt du chant, de la musique, ne peut-il pas se situer autant sur le fond que sur la forme ?

Des Canyons aux Étoiles 2

Pour analyser de plus près le rapport entre musique et astronomie, commençons par une prière :

« Grand est notre Dieu, grande est sa puissance, sa sagesse est infinie.
Louez-le, cieux ! Louez-le, soleil, lune et planètes,
dans la langue qui vous est donnée pour louer votre Créateur.
Louez-le, chœurs célestes, louez-le, vous qui régnez,
Et toi aussi, mon âme, chante ;
chante tant que tu le peux, l’honneur du Seigneur.

De Lui, par Lui et pour Lui sont toutes choses,
celles encore inconnues, et celles que nous connaissons.
A Lui louange, honneur et gloire d’éternité en éternité.
Je te rends grâces, Créateur et Seigneur
de m’avoir donné cette joie à la vue de ta création,
ce plaisir à contempler les œuvres de tes mains.
J’ai essayé d’annoncer aux hommes la splendeur de tes œuvres,
dans la mesure où mon esprit limité pouvait saisir ton infini.
Pardonne dans ta grâce si j’ai prononcé une parole indigne de Toi
ou si, par moments, j’ai cherché ma propre gloire.
Amen.

Johannes KEPLER 3

Johannes Kepler

On reconnaît ici l’influence, pour ne pas dire carrément la paraphrase, du début du Psaume 148. D’après la tradition juive, l’armée des Cieux, autrement dit, les astres, y est appelée à louez son Créateur. Johannes Kepler ne dit pas autre chose au début de cette prière. Ce n’est pas là chose étonnante pour un fervent chrétien. Ça le devient si l’on considère que ce fervent chrétien était aussi l’un des partisans du système copernicien selon lequel la Terre tourne autour du Soleil à une époque où cette hypothèse était loin de faire l’unanimité. Johannes Kepler (1571-1630) était en effet contemporain de Galilée (1564-1642), et il est inutile de rappeler tous les problèmes que ce dernier a connus avec l’Inquisition. L’histoire est écrite par les vainqueurs, et si l’on sait aujourd’hui avec certitude que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, seuls des savants sûrs de leur science et n’ayant pas peur de passer pour des farfelus ou des hérétiques défendaient résolument cette hypothèse au début du XVIIème siècle.

Bref, Kepler était un brillant astronome, et cela ne l’empêchait pourtant pas de s’adresser aux astres dans sa prière. Peut-être simple figure de rhétorique, mais ô combien remarquable et touchante de la part d’un tel scientifique ! Et après avoir invité les astres à louer Dieu, il invite son âme à se joindre à eux.

Que l’astronomie soit en relation avec le chant et la musique n’est pas une nouveauté de la Renaissance. Rappelons que dans le cursus universitaire du Moyen Âge, avant d’étudier la théologie proprement dite, il fallait avoir suivi le trivium (grammaire, rhétorique, logique) et le quadrivium (géométrie, arithmétique, musique et astronomie), ce qui est un héritage de l’Antiquité :

« Il semble que comme les yeux ont été formés pour l’astronomie, les oreilles l’ont été de même pour le mouvement harmonique et que ces sciences sont sœurs, comme le disent les Pythagoriciens. Et nous, nous l’admettons avec eux », peut-on lire dans La République de Platon (Livre VII – 530 d).

Et au tout début du Moyen Âge, Boèce écrit quant à lui dans son Institution arithmétique : « C’est par des rapports musicaux qu’est exprimé le mouvement même des astres. » (I, 1, 11).

Ce ne sont là que deux exemples parmi tant d’autres qui montrent que, durant l’Antiquité et le Moyen Âge, théorie musicale et astronomie étaient pour ainsi dire une seule et même chose. À chaque planète – ou objet céleste considéré en tant que tel – correspondait une note de la gamme. Et cela tombait bien ! En effet, de la Terre placée au centre de l’Univers, on voyait se déplacer : la Lune, le Soleil, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Cela fait 7 objets célestes remarquables, exactement comme les 7 notes de la gamme. L’ensemble des autres étoiles (la « sphère des fixes ») constituant une huitième note pour finir de monter la gamme.

Toutefois, le langage musical se complexifiant d’une part, et d’autre part les découvertes astronomiques s’enchainant, musique et astronomie devinrent progressivement deux sciences bien distinctes. Néanmoins, même à son époque durant laquelle l’observation du ciel se faisait plus précise, et tout en faisant droit au système copernicien, Kepler reprend à son compte l’harmonie des sons pour parler de l’harmonie des astres dans son ouvrage intitulé Harmonices Mundi, publié en 1619.

Selon le philosophe et historien des sciences Alexandre Koyré, Kepler voit en Dieu non pas seulement un mathématicien, mais aussi un musicien qui a agencé le ciel de telle manière que chaque planète « chante » sa propre phrase musicale différente des autres (les sons variant suivant la vitesse à laquelle elles tournent autour du Soleil) afin de produire une agréable symphonie4.

D’où la question : était-ce donc là une métaphore dans la conscience de Kepler, ou véritablement un donné scientifique à comprendre dans un sens littéral ? Ce n’est pas ici le lieu d’un tel débat. Soulignons plutôt, pour clore cette première partie et faire transition avec la suivante, une phrase de sa prière : « J’ai essayé d’annoncer aux hommes la splendeur de tes œuvres. » Plus que le comment du fonctionnement de l’univers, Kepler veut en proclamer la beauté.

Romances sans paroles 5

À la fin du XIXème siècle, un jeune Alsacien rendit visite à Charles-Marie Widor pour lui demander des conseils sur l’interprétation de quelques morceaux d’orgue. Au détour d’une conversation, Widor lui fit part de son étonnamment devant les bizarreries musicales qui parsèment les chorals de Jean-Sébastien Bach. Le jeune Alsacien, de confession luthérienne, qui se nommait Albert Schweitzer, l’éclaira en lui récitant les paroles des chorals en question6.

Albert Schweitzer

Si Kepler utilise l’allégorie musicale pour décrire le fonctionnement de l’univers et en faire percevoir la somptueuse esthétique, voire même si, selon lui, et en accord avec les philosophes de l’Antiquité, les lois fondamentales du fonctionnement de l’univers sont les mêmes que celles qui régissent l’harmonie musicale, pour Jean-Sébastien Bach, il s’agit, sinon d’enfreindre ces règles harmoniques, tout du moins d’en user avec maladresse pour communiquer un message. Loin de ce que pense le commun des mortels, la musique n’est pas, pour Bach, « l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille », elle serait plutôt « l’art de s’exprimer avec des sons qui ne font pas obligatoirement intervenir la parole humaine ».

Il est vrai qu’aujourd’hui peu de partitions de Jean-Sébastien Bach choquent nos braves paroissiens. Mais prenons acte de ce document d’époque : « L’organiste de l’Église-Neuve [Bach] est interrogé (…). Il faisait d’étonnantes variations dans ses chorals et il y mêlait des accords étranges, de telle sorte que la communauté en était fort troublée. »7 Les oreilles du grand public non mélomane qui fréquente nos églises pour la messe s’habitueront-t-elles un jour à la musique d’Olivier Messiaen ? D’autant qu’il faut noter que même pour des oreilles averties, la musique de Messiaen peut paraître malvenue dans la liturgie :

« Il arrivait que certains de ses confrères [de Messiaen] assistent aux offices de la Trinité dans le seul but d’entendre le genre de musique qu’il réservait aux paroissiens un dimanche ordinaire. En 1949, Copland, de passage à Paris, fit le détour : “Visité Messiaen à la tribune de la Trinité”, écrit-il dans son journal. “Entendu son improvisation à midi. Tout y est : du démon dans les basses aux harmonies de music-hall dans les dessus. Que l’Église tolère ça pendant les services relève décidément du mystère…” » 8

Que l’on aime ou non sa musique, il est manifeste que Messiaen, à l’instar de Bach, intervenait dans le cadre de la liturgie autant en prédicateur qu’en musicien : « Musicien liturgique, l’orgue est pour lui [pour Messiaen] le truchement de la parole de Dieu et des vérités de la religion. Aux claviers de son instrument, le compositeur exprime sa propre foi dans une prédication sonore et un commentaire théologique. »9

Olivier Messiaen à l’orgue de l’église de la Trinité vers 1946

« Chanter » ou « jouer de l’orgue » peut donc être synonyme de « proclamer ». Cela semble une évidence pour beaucoup. Mais tire-t-on toutes les conséquences d’une telle affirmation ? Il est des communautés – et peut-être aussi des paroisses ? – où le grand orgue ne doit pas se faire entendre les dimanches d’avent et de carême, sauf pour le 3ème dimanche d’avent (« Gaudete ») et le 4ème dimanche de carême (« Lætare »). Pourquoi ? Parce que la musique d’orgue est perçue seulement comme fastueuse et triomphante, et que de ce fait, elle doit être bannie des temps liturgiques de l’avent et du carême. Adopter une telle attitude, c’est méconnaître les possibilités de l’orgue qui peut aussi jouer sur des registrations très douces des pièces méditatives et participer ainsi à l’élaboration du climat si particulier de ces deux temps liturgiques10.

Il est vrai néanmoins que pour que l’orgue puisse réellement et pleinement jouer son rôle au service de l’évangélisation, musiciens et auditeurs doivent prendre conscience de cette dimension narrative de la musique en général et dans la liturgie en particulier. Gageons en ce qui concerne les musiciens que, tôt ou tard, ils ne peuvent faire autrement que d’en faire l’expérience. Mais pour les auditeurs, il en va autrement. Tous ne sont déjà pas à même d’apprécier les grandes œuvres du répertoire classique. Que dire alors lorsque des sonorités plus contemporaines, souvent déroutantes de prime abord, se font entendre ? Une formation, ou au
moins une initiation, serait la bienvenue. Elle est demandée par les textes officiels et elle est souhaitée et recommandée par des théologiens reconnus. Mais qu’en est-il concrètement ? 11

Le roi David chantant les Psaumes (Frontispice pour le Livre de Psaumes – Sadour Rotschild – XVème siècle)

Et que pourrait bien penser Rabbi Jacob de tout ça ?

Les cieux proclament la gloire de Dieu.

Revenons pour finir à ce verset, et interrogeons la tradition juive :

« “Les cieux proclament la gloire de Dieu.” Les cieux sont-ils donc capables de parler ? Non, mais ils peuvent stimuler l’homme à exprimer les louanges de Dieu. » 12

Preuve en est la prière de Johannes Kepler qui ouvre notre première partie. Toutefois, dans l’introduction de ce même ouvrage, notre verset est également cité :

« Quel est donc le but de l’univers ? Le Psalmiste s’écrie : Les cieux proclament la gloire de Dieu et l’étendue de la voûte céleste dit l’œuvre de Ses mains. / Le monde entier est un chœur dont s’élève un chant de joie. » 13

L’auteur de cette introduction développe cette idée en renvoyant à un passage d’un autre livre publié dans cette même collection de commentaires juifs de la Bible : le volume consacré au Cantique des cantiques.

Manuscrit enluminé du Cantique des cantiques

« Qui chante la louange du Créateur ? Les hommes, même les plus grands, ne le font qu’occasionnellement. Le chant des louanges de Dieu est pourtant constant. / Les cieux proclament la gloire de Dieu et le firmament proclame l’œuvre de Ses mains. / Le Psalmiste déclare ici que toute la création dit la gloire de Dieu. Nos sages développent cette idée dans un petit livre, ésotérique mais très beau, intitulé Chapitre du Chant. Ils nous disent que chaque élément de la création (…) chante sa louange particulière à Dieu, chant composé d’un verset, ou plus, des Écritures.(…). Le chant de louange à Dieu apparaît quand chaque élément de la création accomplit la tâche qui lui est attribuée. Dans un orchestre symphonique d’une centaine de musiciens, quand chacun d’entre eux joue sa propre partition, il en jaillit un chant dont la beauté peut sembler céleste. » 14

Il apparaît, à la lecture de ces commentaires juifs, que la traduction de ce verset dans notre Psautier d’En Calcat n’est pas si fautive que cela. Car même si cette traduction n’est pas littérale, elle résume remarquablement l’exégèse juive de ce verset : il n’y a pas de plus belle louange chantée à Dieu que celle du monde lorsque toutes les créatures sont en parfaite harmonie les unes avec les autres.

Frère Sébastien-Jean (o.s.b.)

 

1. À propos de ce psaume dans la Vulgate, il convient de signaler la pièce pour orgue de Marcel Dupré intitulée Psaume XVIII (Coeli enarrant gloriam Dei).

2. Titre d’une œuvre d’Olivier Messiaen.

3. La tradition luthérienne, Textes choisis et présentés par André BIRMELÉ, Coll. Prières de tous les temps n° 22, Chambray (France), Editions C.L.D., 1981, p. 42.

4. Cf. Alexandre KOYRÉ, De la mystique à la science. Cours, conférence et documents, 1922-1962, Nouvelle édition revue et augmentée par Pietro REDONDI, Paris, Éditions EHESS, 2016, p. 241.

5. Titre de recueils de pièces pour piano de Félix Mendelssohn-Bartholdy et de Gabriel Fauré ainsi que d’un recueil de poèmes de Paul Verlaine.

6. Cf. la préface de : Albert SCHWEITZER, J.S. Bach. Le musicien-poète, Préface de Charles-Marie WIDOR, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1905.

7. Il s’agit d’un extrait du procès-verbal du Consistoire d’Arnstadt daté du 21 février 1706 publié dans : Gilles CANTAGREL, Bach en son temps, Paris, Fayard, 1997, p. 54.

8. Alex ROSS, The rest ist noise, À l’écoute du XXème siècle. La modernité en musique, Traduit de l’américain par Laurent SLAARS, Arles (France), Actes Sud, 2010, p. 598.

9. Gilles CANTAGREL dans : Gilles CANTAGREL (Sous la direction de), Guide de la musique d’orgue. Collection « Les indispensables de la musique », Paris, Fayard, 1991, p. 557.

10. Puisque nous avons commencé cet article en signalant une mauvaise – tout en étant très belle – traduction de l’hébreu, je fais part d’une question qui me taraude à propos de la liturgie du carême. Dans l’Église catholique romaine, on ne doit ni dire ni chanter « Alléluia » pendant le carême. Il est cependant permis de dire et de chanter la traduction de ce mot en français, c’est-à-dire « Louez le Seigneur ». Pendant le carême, nous continuons en effet de chanter à l’office par exemple le Psaume 150 qui lance sans arrêt cette invitation : « Louez le Seigneur ». Bref, je n’ai toujours pas compris pourquoi le Bon Dieu ne souhaitait pas entendre parler ni même chanter en hébreu pendant le carême !

11. Cf. le §115 de la constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie du Concile œcuménique Vatican II. Pour les « théologiens reconnus », bornons-nous à signaler les nombreux textes de Benoît XVI (Joseph Ratzinger) sur la musique. Les principaux ont été réunis dans l’ouvrage : Benoît XVI, L’esprit de la musique, Paris, Artège, 2011.

12. Tehilim (Les Psaumes). Traduction et commentaires fondés sur les sources talmudiques, midrachiques et rabbiniques, Volume 1, Compilation des commentaires, introduction et traduction par les rabbins Avrohom Chaim FEUER, Nosson SCHERMAN et Meir ZLOTOWITZ pour l’édition américaine. Traduction originale du texte biblique d’après la Bible du Rabbinat français, traduction du commentaire et de l’introduction par Tamar ITTAH, Collection « La Bible Commentée », Paris, Colbo, 1990, p. 240.

13. Ibid. Introduction, p. XX.

14. Chir Hachirim. Le Cantique des cantiques, Traduction et commentaires fondés sur les sources talmudiques, midrachiques et rabbiniques, Compilation des commentaires par Meir ZLOTOWITZ, Traduction de l’introduction par Tamar ITTAH, Collection « La Bible commentée », Paris, Colbo, 1989, Introduction, pp. XXXIII-XXXIV

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