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Mgr Moussaron, Juste parmi les nations

80 ans après la rafle du Vél’ d’Hiv’ et les rafles d’août 1942 en zone non occupée, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et le Collège des Bernardins ont organisé une journée d’étude consacrée aux Églises face à la persécution des Juifs, mercredi 7 septembre 2022.

L’occasion d’évoquer la figure de Monseigneur Jean-Joseph Moussaron, archevêque d’Albi de 1940 à 1956.

Mgr Jean-Joseph-Aimé Moussaron est né dans le Gers à Tournecoupe le 11 mai 1877. Il est décédé à Paris le 10 mars 1956. D’origine modeste, il fut ordonné le 14 juillet 1901. Vicaire puis archiprêtre à Lectoure de 1907 à 1929, il devint évêque auxiliaire d’Auch en 1930, puis évêque de Cahors en 1936.

En juin 1940, il succède à Mgr Cézerac à Albi .

À l’été 1942, il proteste contre les violations des droits de l’homme résultant des rafles comme le font cinq autres archevêques et évêques de la zone sud : Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, Mgr Delay, évêque de Marseille, Mgr Théas, évêque de Montauban, et  Mgr Vansteenberghe, évêque de Bayonne.

Écoutons le témoignage de l’abbé Jean Sauvot (paru dans Vent de Crau, mensuel n° 225 mai 1992, reproduit dans Église d’Albi du 14 février 1995) :

«  J’apportais donc la lettre de l’archevêque d’Albi à l’archevêché de Toulouse, 23, rue Perchepinte, quartier Saint-Étienne. Voici le document, pratiquement inédit, que je remis au secrétaire, le Père Garail :

Nos très chers frères,

Des circonstances indépendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de vous dire plus tôt la peine que nous ont causées les mesures de déportation prises récemment contre les Israélites réfugiés en France.

Si dans notre département elles ont été appliquées avec autant de correction et délicatesse qu’il est possible d’en mettre en pareil cas, sur bien des points du territoire on a vu se dérouler des scènes très douloureuses. Des femmes ont été séparées de leurs maris, des enfants de leurs parents. La religion et l’humanité ne peuvent que protester contre cette violation des droits sacrés de la personne humaine et de la famille et cette méconnaissance de la loi divine de la charité.

Et que personne ne voie dans notre parole une atteinte portée au loyalisme que nous devons au Gouvernement et que nous n’avons cessé de recommander. Le Gouvernement n‘est pas en cause. Loin d’avoir pris l’initiative de ces mesures aussi contraires à la tradition française qu’à l’esprit chrétien, il les a subies comme une conséquence de la défaite.

Au surplus, c’est servir son œuvre de redressement que d’affirmer, à l’heure où des catholiques même risqueraient de les oublier, les principes qui sont inscrits dans l’Évangile, que l’Église a toujours défendus et sans lesquels il n‘est pas de vraie civilisation.

Prions Dieu, nos très chers frères, d’accorder bientôt à la France et au monde des jours meilleurs où les hommes, quels que soient leur race et leur pays, sauront se reconnaître et se traiter comme des frères.

† Jean Joseph,
Archevêque d’Albi, Castres et Lavaur

La présente lettre sera lue, sans commentaire, aux messes le dimanche 20 septembre 1942 »

Cliché de la lettre de Mgr Moussaron
Cliché de la lettre de Mgr Moussaron (c) Archives diocésaines d’Albi

Leur appel public, en chaire, eut une réelle résonance. Nombre de leurs fidèles, anonymes, parmi les plus modestes, tendirent la main aux Juifs, en sauvant des milliers, dont un très grand nombre d’enfants, alors qu’ils étaient impitoyablement pourchassés dans une traque inhumaine.

A la demande de Mgr Moussaron , Sigismond Wolf, 65 ans, originaire du Luxembourg, est accueilli au Petit Séminaire Saint-Louis de Pratlong, en qualité de professeur d’allemand et d’anglais par l’abbé Gilbert Cugnasse.

Photo de l’arrestation de Mgr Moussaron (c)Archives diocésaines d’Albi

L’arrestation de Mgr Moussaron

Au printemps 1944, Mgr Moussaron est arrêté le 12 juin et maintenu en prison huit jours au motif qu’il a refusé de prendre les mesures demandées par la Gestapo contre un curé doyen qui avait présidé les funérailles d’un officier de l’Armée Secrète tué par les Allemands.

D’après le témoignage du Père Jean Sauvot (extrait du mensuel cité plus haut) :

« (…) Vint le jour J, mardi 6 juin : la radio officielle fut bien obligée d’annoncer le débarquement en Normandie. Le lundi 12 juin, à midi, je rentrais au séminaire en compagnie d’un confrère. Devant la porte de l’archevêché stationnait une traction-avant Citroën, caractéristique de ces messieurs de la police allemande. Le temps de courir, avertir un autre collègue qui avait un appareil photo pour qu’il se rende dans une maison d’en face pour photographier éventuellement l’arrestation (mais de qui ?) qui se préparait, puis de me placer dans le grand couloir de l’évêché, passage obligé. Je fais là une rencontre tout à fait inattendue : l’abbé Henri de Villeneuve, qui a depuis longtemps rejoint le maquis A.S. (Armée Secrète) de la Montagne noire (il y sera blessé quelques semaines plus tard), dont il est devenu l’aumônier : il vient demander à l’archevêque confirmation de cette charge d’aumônier de l’A.S.

Soudain, une porte s’ouvre : devant nous, le visage rouge, ému mais très digne, passe l’archevêque, encadré de deux « messieurs » au chapeau mou. Nous le suivons jusqu’à la porte qui donne sur la rue. Il s’est arrêté un instant pour demander à son vicaire général « Vous m’accompagnez ? »

Interloqué, celui-ci répond en susurrant : « Monseigneur, s’il le faut, s’il le faut… » sur un ton qui ne faisait aucun doute sur son souhait intérieur.

L’archevêque monte dans la voiture, place arrière. Le moteur est lancé… et cale. Mot de l’archevêque, toujours spirituel comme nous le connaissions : « lui aussi, il est arrêté ! »

Monseigneur Jean-Joseph Moussaron reçut à titre posthume, le dimanche 4 juillet 2010 , la médaille et le diplôme d’honneur de « Justes parmi les Nations ».

 

 

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