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Petit guide analytique de l’Apocalypse de Gaston-Louis Marchal par Jean-Jacques Dhomps

Une technique d’exécution originale et signifiante

De l’encre de chine, une plume d’écolier, des crayons de couleur, du papier, furent les seuls outils et matériaux utilisés par Gaston-Louis Marchal pour réaliser un dessin de 78,4 m2.
Pour arriver à ce résultat, il a exécuté, au prix de 6 000 heures de travail, 84 (7×12) panneaux de 777 mm sur 1212 mm. Ils se raccordent bord à bord (en sept rangées et douze colonnes) [1] pour composer l’ensemble, comme montré ci-dessous

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Ainsi, furent patiemment élaborés avec des moyens très simples ces 84 panneaux de papier qui peuvent être comparés à des cartons de tapisserie. Par contre, la « tapisserie » a été réalisée grâce aux procédés de l’an 2000. Les panneaux furent scannés, numérisés et raccordés par de puissants ordinateurs sous le contrôle de l’artiste.
Le dessin a été, ensuite, transféré par jets d’encres, d’un seul tenant, sur une toile de 4,40 m sur 11,90 m.
Par cette combinaison du métier ancestral et de techniques de pointe, G-L Marchal a voulu signifier que, dans la forme comme dans le fond, son apocalypse était à la fois fidèle à l’époque de Jean de Patmos et à notre actualité. Dans l’œuvre même, il fait allusion à cette amplitude temporelle. Jean, dans le coin inférieur gauche de la toile, écrit avec le calame (roseau taillé) tandis que la plume, le stylo et l’écran d’un ordinateur marquent à la fois la distance et la continuité.

Le langage plastique

G-L Marchal utilise le moderne langage de la bande dessinée expressionniste, où il excelle, dans une intention didactique qui le rapproche, à neuf siècles de distance, des « sculpteurs-imagiers » romans.
Télescopant des images baroques, fantastiques, symbolistes, allégoriques, surréalistes, il traduit de manière saisissante les visions catastrophiques, béatifiques, merveilleuses et grandioses du prophète Jean. Quant à notre grouillante humanité, il lui réserve une impitoyable verve caricaturale.
Il joue également avec la facture, alternant des dessins aux traits cursifs et des compositions plus élaborées.

Il rapproche de manière inattendue ces différentes images et les juxtapose, superpose, et empile jusqu’à obtenir un effet de remplissage et de foisonnement qui répercute bien le rythme du récit apocalyptique et son ample et lyrique redondance.

Il a, d’autre part, une sensibilité de calligraphe. Les lettres, les mots, l’écriture, constituent une source d’éléments graphiques qu’il incorpore avec une sorte de jubilation dans son dessin. Soit comme notes ou légendes, soit à des fins satyriques, soit comme symboles, soit qu’il dessine avec les lettres et les mots eux-mêmes.

Enfin, il tisse une patiente et savante dentelle de lignes de démarcation en formes de frises ;

L’encre restitue avec virtuosité la gamme des blancs, des gris et des noirs, tandis que des rehauts se limitent à quatre couleurs posées en aplats et de manière symbolique. Les trois couleurs primaires, jaune, bleu et rouge, sont héroïques et sacrées ; le vert, issu de leur mélange, serait, selon Marchal,l’impure et profane couleur terrestre.

La composition

Le visiteur est invité à emprunter l’allée centrale et à reculer jusqu’à mi-église. Il aura ainsi une première vue d’ensemble suffisamment lointaine de l’œuvre :
Le tracé d’une fleur à longue tige recourbée et qui s’épanouit en haut et à droite est nettement suggéré. « Fleur d’espérance sur fond d’angoisse », selon la qualification de l’auteur, elle oriente la composition et donne le sens dans lequel il convient de parcourir l’œuvre, de la racine à la large éclosion.

D’autre part, l’empilement des images se fait plus dense à fur et à mesure de cette progression pour atteindre une sorte de paroxysme dans la partie inférieure droite.

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Enfin, l’ensemble est compartimenté selon une architecture complexe qui, comme le texte de Jean, peut, de prime abord, paraître chaotique, mais qui, comme lui, s’articule, autour du Trône Divin et de l’Agneau, ici placés au centre de la partie supérieure et dans une forme de mandorle (amande) conformément à la tradition iconographique.

Ainsi, langage plastique et construction conjuguent leurs effets. L’accumulation d’images d’apparence hétéroclites et le nerveux morcellement de la composition se prêtent bien à la transposition graphique du récit apocalyptique qui décrit une suite de visions luxuriantes, échevelées, répétitives quelquefois, toujours grandioses, tragiques, poétiques, inouïes !

Il convient maintenant de se rapprocher lentement de la vaste toile et d’en explorer, par patientes étapes, le contenu. Elle constitue, en effet, une sorte d’objet fractal dont, seule, une série d’examens à différentes échelles va permettre de saisir la cohérence, de découvrir le sens, d’apprécier la richesse.

Le contenu

- Un créateur en bonne compagnie
Remarquons, avant d’aller plus loin, que Gaston-Louis Marchal a inséré dans sa composition quelques copies, pour ne pas dire citations, d’œuvres d’illustres devanciers, eux aussi illustrateurs du texte sacré. (les enlumineurs des Beatus, JuanMates, Dürer)
Et enfin Ossip Zadkine. Y figure la mention manuscrite : « En hommage à mon Maître O.Zadkine, auteur de l’Offrande du livre pour Joseph Forest, éditeur d’une Apocalypse en 1961. »

Castres ND Espérance ap 3 Il va encore « citer » des artistes qui lui tiennent particulièrement à cœur :
- Nicolaï Greschny, peintre d’icônes et fresquiste [2], qui a laissé beaucoup d’œuvres dans les édifices religieux du Tarn
- un sculpteur anonyme, naïf, auteur d’un Christ mélancolique
- Liu-Hoang Wén Shu, Chinoise, peintre et amie.

Par ces « emprunts-hommages », et d’autres que nous ne répertorions pas ici mais que le visiteur retrouvera en examinant attentivement la fresque, il a témoigné qu’il s’inscrivait dans la série de tous ces créateurs et entrait en communion avec eux.

Reste à explorer le contenu de l’œuvre de manière plus systématique afin d’y suivre le fil conducteur principal -le récit apocalyptique- et d’y découvrir, comme en contrepoint, une ligne plus spécifiquement marchalienne.

C’est l’objet du chapitre suivant. Un troisième chapitre examinera ce que l’artiste a ajouté de plus personnel et qui a conduit le père Cavaillès à désigner cette œuvre, néanmoins sacrée, comme une « œuvre de seuil ».

Le récit de l’Apocalypse

Marchal a donné ce conseil au cours d’une conférence : « D’abord lisez l’Apocalypse de Jean, c’est le minimum que vous vous devez. Puis voyez mon Apocalypse, regardez-là une deuxième fois… et déjà vous aurez vu et vécu… »

Ou encore, « Lis, relis, prie, travaille et tu trouveras. », adage alchimique placé dans le coin inférieur droit de son vaste dessin, sous son autoportrait.

Rappelons que l’Apocalypse de Jean
- reproche aux hommes leur mauvaise conduite,
- montre les malheurs qu’elle entraîne,
- fustige les puissances du Mal (c’est à dire le Malin, Satan),
- exalte la valeur rédemptrice du Christ et des martyrs,
- décrit la défaite du Mal,
- annonce l’avènement de la Jérusalem céleste.

Selon un genre littéraire biblique bien établi depuis Ezéchiel, Daniel et Zacharie, il s’agit d’un récit allégorique et souvent ésotérique. Marchal a, non seulement, traduit ce texte avec fidélité par de saisissantes images allégoriques, mais il y a ajouté ses propres visions d’une Apocalypse qu’il considère comme toujours vivante et d’actualité.
Nous suivrons la trame du récit apocalyptique en retrouvant, sous le torrentiel graphisme du dessinateur, l’ordre de ses successifs chapitres.  [3]

- L’alpha et l’oméga
Ces lettres grecques sont au centre-cime, au point de départ, de la vaste composition. Puis elles s’y retrouvent à de multiples endroits comme un leitmotiv : « C’est moi l’Alpha et l’Oméga dit le Seigneur Dieu, Celui qui était et qui vient… »
Pour renforcer le symbole, Marchal inscrit un petit oméga dans un grand alpha et réciproquement.

- La création
Si Marchal considère que l’Apocalypse est encore en marche, il en situe le commencement bien avant le Ier siècle, quand l’homme apparaît sur cette terre, et, en manière de prélude, il évoque la création, du big-bang à l’humanité. Ayant laissé couler par une série d’images d’une admirable fraîcheur, le fleuve de l’évolution, il fait entrer l’homme en scène de manière théâtrale et presque fracassante.
Il est accompagné la femme, représentée par une figuration sexuelle symbolique empruntée à l’art sumérien archaïque.

- Vision de Jean et révélation aux Églises
Dès lors la Révélation ou Apocalypse, pour parler comme les Grecs, est en marche « Moi, Jean, dans l’île de Patmos, j’entrai en extase un dimanche et j’entendis une voix claironnante. Je levais les yeux et je vis sept chandeliers (églises) et près d’eux comme un fils d’Homme (Jésus), il portait une tunique longue, une ceinture d’or lui barrait la poitrine, il avait la tête et la chevelure blanches, ses yeux flamboyaient, ses pieds semblaient de bronze fusion, de la main droite il tenait sept étoiles (anges), sa bouche dardait un glaive acéré (symbole de la parole de Dieu), sa voix retentissait comme celle des grandes eaux… Il me dit : Écris dans un livre ce que tu regardes et adresse le aux sept Églises… »
« et à d’autres, et à Castres. » ajoute Marchal .

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- Les destinataires des lettres
Ils sont montrés dans l’état d’inconduite qui leur est reproché. Ils récapitulent avec frénésie, insouciance, et même cynisme grossier, les pires vilenies. La virile Artémis d’Éphèse, où vécut Jean l’évangéliste, les situe en Asie Mineure, tandis que le centurion romain les date de la fin du 1er siècle. Pourtant, la plupart de ces personnages, surpris en flagrant délit, sont nos contemporains. Ainsi, le texte johannique est illustré avec fidélité mais, en même temps, il nous est répété qu’il vaut pour aujourd’hui et nous concerne.
Nous verrons, dans la partie inférieure de la fresque, comment la mauvaise conduite des hommes engendre toujours les pires malheurs.

- Du Trône Divin à l’Agneau et au Livre scellé
Voici qu’au ciel un trône était disposé…
Siégeant sur le trône, Quelqu’un (l’essence invisible de la divinité)… comme une vision de jaspe et de cornaline… un arc-en-ciel autour du trône…
Quand les célestes couleurs de l’arc-en-ciel sont trop intenses, nos faibles yeux terrestres n’y voient que du blanc !
En dessous du trône, toutes les manières de nommer : Celui qui est… qui était… qui doit venir… qui vient…

Encadrant le trône, les quatre vivants (évangélistes) : Comme un visage d’homme (Matthieu), comme un aigle (Jean), comme un lion (Marc), comme un taureau (Luc). Ils portent des ailes constellées d’yeux…
Vingt-quatre sièges entourent le trône sur lesquels sont assis vingt-quatre vieillards.

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Parmi ceux-ci, Marchal a installé : le Bouddha, Vincent de Paul, Blaise Pascal, Jean Jaurès, Ossip Zadkine, Joseph Delteil, le Mahatma Gandhi, Thérèse d’Avila
Entre Jaurès et Zadkine figurent le Livre et l’Agneau.

Et je vis, près de Celui qui trône, un livre (parchemin roulé) écrit au recto et au verso, et scellé de sept sceaux… Qui est digne d’en briser les sept sceaux et de l’ouvrir ?
Un Agneau égorgé portant sept cornes et sept yeux… (symboles de la plénitude de la force et du savoir)
Il est seul digne de prendre le livre et d’en ouvrir les sept sceaux, car il fut égorgé et racheta pour Dieu, au prix de son sang, des hommes de toute race, peuple et nation.
En dessous, l’Agneau Victorieux, porteur de la Croix, (le Christ) prend l’aspect chevalin imaginé par les enlumineurs (Espagne, Xe siècle) des commentaires de Beatus.

- Rupture des sept sceaux
Les ruptures des sceaux vont déclencher des évènements préludant au Jugement suprême.
D’abord l’apparition des quatre cavaliers : le premier, monté sur un cheval blanc muni d’un arc et ceint de la couronne du vainqueur serait (c’est controversé) une figure du Verbe de Dieu
Le deuxième, juché sur un cheval roux et qui brandit une grande épée représente la guerre

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Le troisième chevauche un cheval noir, tient une balance pour peser le blé, l’orge l’huile et le vin, il est l’image de la famine
Quant au quatrième répandant pestes cancers et sidas, il s’appelle la Mort.
Remarquer l’aspect pétaradant et vrombissant des montures !

La rupture du cinquième sceau ouvre une vision sur la prière des martyrs et leur future récompense ; celle du sixième montre une anticipation des résultats du dernier jugement ; celle du septième ouvre le cycle des fléaux envoyés par Dieu pour convertir le monde.

Les sept trompettes

Sur l’implacable rythme septénaire, après la rupture des sept sceaux, les sept trompettes annoncent les manifestations de la colère de Dieu.
Les quatre premières trompettes provoquent des catastrophes quasi naturelles comme, grèle, séismes, chutes d’étoiles ou de météores, éclipses…
La cinquième déclenche l’invasion des sauterelles… casquées de couronnes, à faces presque humaines, à chevelures de femmes, aux dents de lions… Elles tourmentaient, cinq mois durant, les hommes qui ne portent pas au front le sceau divin, d’un tourment pareil à celui d’une piqûre de scorpion…

La sixième annonce la cavalerie infernale… les chevaux portaient crinière léonine et leurs naseaux crachaient feu, fumée et soufre… leurs queues étaient comme des serpents, ils avaient une tête dont ils se servaient pour nuire…
Le tiers de l’humanité fut massacré…

Le petit livre ouvert
Dans le récit de Jean, l’intermède du petit livre s’intercale entre la sixième et la septième trompette.

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Alors la voie céleste me dit, « va, prends dans la main de l’ange… le petit livre ouvert. » « Tiens, me dit l’ange, prends-le et mange-le ; seulement il te sera aigre aux entrailles, bien qu’à la bouche il doive t’être doux comme le miel. » Le contenu du petit livre (l’Évangile), ainsi assimilé, va permettre à Jean de prophétiser sur bien des nations, des peuples et des rois.

La septième trompette annonce l’achèvement. Le grand combat va avoir lieu. Son résultat sera que : L’Empire de Notre Seigneur est établi sur le monde.

La Dame et le Dragon
Une Dame enveloppée dans le soleil, la lune sous ses pieds, la tête couronnée de douze étoiles… Elle était enceinte et criait dans les douleurs de l’enfantement… Un grand dragon à sept têtes et dix cornes… se posta devant la Dame… pour dévorer son enfant… Mais l’enfant fut enlevé auprès de Dieu… La Dame fuit au désert dans une retraite ménagée par Dieu.
Cette Dame peut représenter aussi bien la mère mystique, l’Église que Marie, la mère du Christ.
Quant au dragon c’est le… Serpent primitif appelé Diable et Satan, le séducteur du monde entier…
Je vis ensuite une autre bête monter de la terre elle avait deux cornes comme un agneau mais elle était soumise au dragon… Cette deuxième bête, toute entière dévouée au Mal, qui peut se déguiser en agneau, prend aussi l’habit des perversions doctrinales, des pires intégrismes religieux ou politiques.

Les puissances du Mal
Ainsi les forces du mal ont fait leur apparition dans le récit et G-L. Marchal ne se prive pas de déployer sous nos yeux leurs insidieuses et redoutables métamorphoses.
Épouvante, dissimulation, luxure, jeu

De ces bêtes qui remontent périodiquement de l’abîme, et de notre propre abîme intérieur, la plus épouvantable présente la figure de Néron, d’Hitler, de Staline, de « vous et de nous », de « toi et de moi ».
Bêtes immondes qui se dissimulent sous la perfide apparence de la bête du mensonge, de la flatterie, de la propagande, de la désinformation, des fausses promesses et autres publicités mensongères.

Castres ND Espérance ap 8 Les malheurs terrestres

Ici Marchal dresse une sorte de catalogue des tragédies qui ont marqué le XXe siècle et des maux dont nous souffrons, de gauche à droite dans un tragique pèle-mêle, des images obsédantes :

drogue, sida, torture, massacres écologiques, pollutions, vache folle, colonialismes, totalitarismes, impérialisme du profit, guerres, guerres civiles, Shoah, Goulag, destructions massives et atomiques, robot écrasant un chômeur sous l’œil de la Bête inspiratrice, nouvelles idolâtries comme celle de la télévision et de l’audimat…

Puis, de haut en bas, dans l’ellipse verticale, les guerres de religion, le détournement des valeurs, les fraudes, la violence cynique, le mépris et l’écrasement des faibles.

Au centre, en bas, la mort terrestre, vision d’un expressionnisme violent, semble constituer la seule issue désespérée de toutes ces désolations.
« Et les oiseaux se rassasièrent de leur chair… »

Pourtant la Rédemption est en marche !
Jean dresse le bilan des forces en présence. Dans le camp qui combat le mal, siègent l’Agneau et ses élus.

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L’Apocalypse est révélation, annonce, proclamation, de leur victoire finale. L’instrument de cette victoire est la Croix. Elle fructifie tandis que le Rédempteur, une faucille à la main, s’apprête à moissonner et vendanger ses récoltes.
G-L MarchaI développe une très belle scénographie de la rédemption et du salut.

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Il illustre de manière saisissante l’Ascension du Christ, de sa tragique humanité au royaume divin, en rapprochant l’expressionnisme bouleversant de la Sainte Face et la majestueuse intemporalité de l’iconographie byzantine.

En parallèle, il montre comment Jaurès, le Che, les sept moines massacrés en mai 1996 à Tibehirine, les enfants martyrs du Rwanda ou du Cambodge, tous ceux qui sont immolés à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage dont ils étaient dépositaires… sont, à la fois, associés à, et bénéficiaires de, l’élan rédempteur. Ce sont les survivants de la grande détresse, ils ont lavé leurs vêtements et les ont blanchis dans le sang de l’Agneau.

Ils génèrent comme un chœur immense chantant dans le ciel Alleluia !

Ce chœur immense, bien sûr, les englobe et les déborde. Marchal, qui se réfère ici à la Communion des saints ne pouvait donner une vision plus catholique du mystère de la Rédemption. Même l’indifférent placé à droite, qui ne se croit pas concerné, trop occupé par son téléphone et l’allumage de sa cigarette, va probablement échapper aux flammes de l’enfer qui le lèchent et profiter de l’ascenseur.
Remarquer le chemin jaune issu du Christ « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » Jn 14-6)

Les forces en présence ayant été campées, Jean va décrire le combat, proclamer la victoire du Christ sur les Bêtes, annoncer le dernier jugement, puis, dans un tableau final, évoquer l’éternelle splendeur de la Jérusalem céleste.

Les sept coupes de la colère de Dieu
Tout le mal, aussi bien celui que connaissait Jean sous les persécutions de Néron ou de Domitien que celui que nous représente Marchal aujourd’hui, ne peut qu’inspirer la sainte colère de Dieu.
Sept anges porteurs de sept fléaux, les derniers, car en eux est assouvie l’indignation de Dieu.

Quand la sixième coupe est répandue dans le fleuve Euphrate des esprits impurs sortent de la gueule des Bêtes, ils avaient l’air de grenouilles. La septième et dernière coupe déchaîne les éléments, éclairs, tonnerre, grêle, tremblements de terre. Marchal imagine que la colère de Dieu s’abat aussi sur des emblèmes qui ont été arborés par des totalitarismes criminels et démoniaques, croix gammée, faucille et marteau, croissant du fanatisme intégriste, croix de l’inquisition.

Le châtiment de Babylone
Nous abordons la partie la plus dense de la fresque. Pour représenter la chute de Babylone, cette scène violente, qui symbolise la défaite du mal, Marchal n’utilise que du blanc et du noir.

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La grande prostituée de Babylone, c’est Rome idolâtre et c’est aussi la mère des abominations de la terre… Elle est assise sur la bête aux sept têtes et dix cornes… Alors un ange vigoureux souleva une pierre… et la jeta… Ainsi, d’un coup sera précipitée Babylone, la grande ville et jamais plus on ne la retrouvera…
Remarquer, dans son sillage, une petite figure à support cruciforme, empruntée aux Beatus, qui pourrait être l’Antéchrist trompeusement déguisé.
Alléluia ! Notre Dieu, le Vainqueur, a établi son règne.

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De la victoire du Verbe de Dieu au jugement général

L’ultime combat est conduit par le Christ qui, chevauchant un cheval blanc et armé du glaive acéré de la parole divine s’identifie au Verbe de Dieu. À la tête des armées célestes il défait la Bête et les rois de la terre qui combattaient avec elle.
La Bête est enchainée… puis après mille ans… jetée dans l’étang de feu pour les siècles des siècles.
À cette occasion, Marchal ne se prive pas d’en faire baver à la « tête télévision » !
 

Je vis alors un grand trône…
et Celui qui siégeait dessus…
Je vis aussi les morts grands et petits debout devant le trône. On ouvrit des livres, puis encore un autre livre celui de la vie ; et les morts furent jugés selon leurs actes…

Quiconque ne se trouva pas inscrit au livre de vie
fut jeté dans l’étang de feu.

Marchal a doté l’étang de feu d’un visage et d’une bouche.
Le destin, référence à La cinquième symphonie de Beethoven, est accompli ! Je vis le ciel ouvert…

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Et Marchai nous signifie dans toutes les langues l’universalité de la Révélation. Le ciel est ouvert à tous les peuples de l’humanité.  Alors celui qui trône dit : « …C’en est fait. C’est moi l’Alpha et l’Oméga, le principe et la fin. C’est moi qui donnerai à l’assoiffé de la source d’eau vive gratuitement… »
Je vis la ville sainte, Jérusalem nouvelle, descendre du ciel…

La Jérusalem céleste
La ville avait une grande et haute, muraille à douze portes… portant gravé les noms des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois de ces portes à l’Orient, trois au Septentrion, trois au Midi et trois à l’Occident. La ville était bâtie en carré…

Marchal a construit la ville à partir de nombres qu’il a rapprochés et assemblés selon leur signification symbolique :
- 3 = Trinité divine
- 4 = la création (4 éléments, eau, air, feu, terre)
- 7 = 4+3, créateur+création, l’unité parfaite
- 8 = 7+1, le plus que parfait
- 12 = 3×4 représente l’Église
- 888 = Jésus Christ…

La muraille était construite en jaspe… les soubassements étaient diaprés de toutes sortes de pierres précieuses :
il a non seulement écrit le nom de ces pierres, mais il a dessiné avec eux une frise d’enfants.

Castres ND Espérance ap 14

Pour évoquer l’ineffable contenu de cette Jérusalem céleste que nos pauvres yeux terrestres ne peuvent contempler, il a, en effet, choisi de dessiner avec des objets, des signes et des mots.
Plume, plume, plume, roucoulent les colombes,
luth, luth, luth, chante le luth…
Eau, agua,water, aïgo… murmure le fleuve d’eau

Zachée (Luc 19,1) se cache dans le sycomore, tandis que l’oiseau est « fabriqué » avec le texte d’un verset du Coran chantant le Paradis.

La ville n’a besoin ni du soleil, ni de la lune, car la gloire de Dieu l’illumine…
Pour représenter cette lumière dont li décline le nom dans toutes les langues, Marchal a utilisé un symbole solaire, récurrent en Orient depuis Zoroastre, et que les comtes de Toulouse avaient ramené des croisades pour en faire la « croix du Languedoc ». _ La grâce du Seigneur Jésus soit avec tous.

Questionnement, ésotérisme, syncrétisme, panthéisme

« Le but a toujours été pour moi, tant d’illustrer le texte de saint Jean… que de l’actualiser au travers de ma personnalité (introduire donc mes convictions propres ou mes seuls fantasmes selon une forme et des façons de faire qui m’appartiennent… Quant à la forme et aux façons de faire, j’aurai surtout recours à l’allégorie… » [4]Gaston-Louis Marchal

G-L Marchai, toutes ses œuvres l’attestent, est un esprit métaphysique. II tient les certitudes pour suspectes. Pour lui, il n’y a d’intérêt, et de profit, qu’à poursuivre une perpétuelle recherche. C’est ce qu’il appelle le « questionnement ».

Il a placé à la lisière de sa vaste composition, à droite, une superbe allégorie du vertige métaphysique. Janus, enrichi d’un troisième visage, cristallise passé, présent, avenir et les trois âges de la vie. C’est aussi, c’est surtout, l’homme qui se retourne vers son passé pour y puiser de quoi enrichir la question fondamentale : va-t-il sortir vers le néant ou vers cette Jérusalem céleste dont une partie de lui-même désigne les portes ouvertes ?

Tous les ésotérismes qui ont pu, ou peuvent, exciter et alimenter le questionnement spirituel sont dignes d’intérêt, comme la quête du Graal ou l’alchimie.

L’échelle de Jacob sert de support à un précepte alchimique : Visita Interiorem Terrae Rectificando lnvenies Operae Lapidem [5] (VITRIOL) tandis qu’une très ancienne figuration mésopotamienne, symbole de la régénération perpétuelle s’inscrit dans l’environnement du jugement dernier.

De telles représentations symboliques, empruntées à toutes les époques, toutes les civilisations, toutes les philosophies, toutes les religions, constellent la fresque, depuis l’équerre et le compas du Grand architecte jusqu’à l’inextricable dialectique chinoise du yin et du yang.

Dans cette veine ésotérique, il a placé le carré magique « SATOR » (où il a remplacé a par alpha et o par oméga) au centre géométrique de sa composition et en fait le générateur des quatre points cardinaux « Rotas tenet opera » (la roue tient toute les choses). Remarquer sur la fresque, dans la verticale du carré, le fil à plomb du Grand architecte.

Toutes les religions sont, bien sûr, respectables et toutes permettent d’enrichir le questionnement..

La cloche semble battre le rappel de l’œcuménisme, l’orthodoxie proclame la victoire (MKA signifie : Victoire !) et Luther nous ouvre sa bible.
Les autres fils spirituels d’Abraham ne sont pas en reste : les juifs fêtent la lumière et saint nom d’Allah est tracé.

Mais Marchal va beaucoup plus loin dans la voie du syncrétisme.
Il rapproche, dans, une forme de cœur, la vierge de tendresse, empruntée au peintre d’icônes Greschny, de la déesse chinoise Guan Yin Pu, inspirée par son amie peintre Liu Hoang Wén Shu. Cette divinité qui fut, à l’origine, de sexe masculin choisit de devenir femme par désir d’incarner l’amour maternel.
Il évoque la religion de l’ancienne Égypte, sous l’aspect du dieu Anubis (à tête de chacal) mais aussi des religions plus contemporaines, quelles soient de source afro-américaine ou asiatique.
Cette volonté d’embrasser l’universel, il la manifeste, encore, il convient d’y insister, par ces hiéroglyphes, idéogrammes, signes, et mots empruntés à toutes les civilisations, époques et langues.
- l’homme qui sait et la bouche entre deux scarabées qui annonce une naissance (Égypte)
- l’idéogramme chinois qui signifie « néant de forme » ou encore l’innommable, Dieu !
- et, encore, l’idéogramme répété sur tous les temples, signe de Double Béatitude, bonheur infini
- enfin, de droite à gauche, les trois lettres, aleph, men et chin, qui symbolisent les éléments primordiaux, air, feu, et eau, selon le Talmud…

Pour souligner cette universelle communion des esprits, il distribue, en outre, de ci de là, des « formules-phare », émises au cours du temps par des personnalités de premier plan, et qui n’en finissent pas de rayonner et de raisonner, comme : Gnôti ! Seauton connais-toi toi-même – Eureka – Et pourtant, elle tourne – To be or not to be… – Yo, pienso y es asi !Je pense et c’est ainsi (selon Cervantes) – Je pense, donc je suis – Mehr Licht !Plus de lumière, s’il vous plaît (selon Goethe, mourant) – E= MC2… Mais il ne s’arrête pas là.

Dans une sorte d’élan panthéiste, il humanise les animaux en les introduisant dans le ter-questionnement de la souffrance.
Et puis, il distribue dans son tableau des objets qu’il a qualifiés de « diversement symboliques ou polysémiques » comme : sablier, fossile, compas, faux, balance, ancre, anneaux, chaîne, couteau..

Enfin il n’a pas manqué de tendre et d’entrecroiser ces liens, cordes et ficelles, qu’il a coutume d’introduire dans la plupart de ses tableaux. Il explique dans son journal « ils signifient la condition humaine, cette condition tissée de tant de liens et assujettissements divers : famille, époque de vie, lieu de vie, amitiés, amours, santé, complexion ou tempérament, profession, propriétés, locations, disponibilités financières, engagements divers, le qu’en dira-t-onmultiple, etc. ».
Quel ficelage non ?

Oui ! Marchal, ce tourmenté et sombre optimiste -a volonté finit toujours, chez lui, par laisser le dernier mot à l’optimisme- prophétise bien, comme Jean, un ciel nouveau et une terre nouvelle… où il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni peine… pour la foule immense, que nul ne peut dénombrer, de toute nation, tribu, peuple, langue, religion… Mais dans cette « foule immense », il ficelle aussi des oiseaux, des poissons, des compas, des faux, des sabliers, des balances…

Et encore ?

Ce petit livre-guide n’offre qu’une première et modeste approche d’une œuvre ambitieuse et complexe.
Gaston-Louis Marchal a conseillé (dans son journal) d’explorer la fresque à la jumelle. En effet, comme la foisonnante sculpture romane à laquelle elle s’apparente, n’en finit pas de révéler, au revers obscur d’un chapiteau ou dans les reliefs de quelque modillon haut perché, de riches et savoureux détails, cette Apocalypse livrera bien d’autres fertiles images, à qui prendra le temps de la déchiffrer… Et elle alimentera de multiples, inépuisables et passionnantes exégèses…

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[1] Ces nombres n’ont pas été choisis au hasard, l’auteur les ayant retenus dans le sens symbolique conféré par la tradition biblique et la gématrie cabalistique : 7 (nombre cité 54 fois dans l’Apocalypse) somme de 3 (Trinité-Dieu) et de 4 (quatre éléments, nature) signifie la plénitude – 12, produit de 4 par 3, a été magnifié par le christianisme : 12 tribus, 12 apôtres ; c’est le symbole de l’Église…

[2] Dont Marchal a reçu un enseignement technique.

[3] NB – Nous écrirons en bleu les citations extraites de l’Apocalypse de Jean.

[4] Dans Dessiner l’Apocalypse – Journal de la conception et de l’exécution de l’œuvre, page 184 – Édité par la Société culturelle du Pays castrais », 2001.

[5] Descends dans les entrailles de la terre et, en distillant, tu trouveras la pierre de l’œuvre